« Après les principales radios d’information burundaises privées qui demeurent fermées depuis le 14 mai dernier, c’est au tour de l’unique journal papier indépendant d’être dans le collimateur de la présidence », alertait déjà le 11 septembre dernier l’organisation Reporters sans Frontières (RSF). Une semaine plus tôt, Willy Nyamitwe, le conseiller principal en communication du président Pierre Nkurunziza, avait en effet qualifié les journalistes du groupe Iwacu (chez nous, en langue burundaise) de « tricheurs » et de « filous » suite à la publication d’un article qui lui avait déplu.
Le groupe de presse n’avait bien sûr pas pris à la légère ses propos du proche collaborateur du chef de l’Etat. Le gouvernement « cherche à préparer l’opinion en amont, pour légitimer une future action », avait supputé le directeur d’Iwacu, Antoine Kaburahe.
Ce journaliste réputé au Burundi pour son indépendance et son professionnalisme n’avait pas encore oublié les propos désobligeants de Willy Nyamitwe lorsqu’il a reçu vendredi dernier une convocation du Parquet général dans le cadre du « dossier RMPG No697 /MA relatif au coup d’Etat manqué du 13 mai » dernier contre le président Nkurunziza qui était alors en déplacement à Dar-es-Salaam, en Tanzanie.
Passant outre les conseils de certains amis, le journaliste a répondu lundi à la convocation, accompagné de deux avocats, et est ressorti de l’interrogatoire vers la fin de la matinée. « Je serai toujours disponible chaque fois que la justice aura besoin de moi », a-t-il répondu aux nombreux confrères qui l’attendaient à sa sortie. Un de ses avocats, Lambert Nsabimana, a indiqué que l’interrogatoire s’était bien déroulé mais que l’instruction du dossier allait se poursuivre
Avant d’entrer dans le bureau où l’attendait l’officier du ministère public, Antoine Kaburahe a eu le temps, comme le rapporte le site internet de son journal ( www.iwacu-burundi.org), d’échanger avec quelques diplomates occidentaux venus lui apporter leur soutien.
Dans un entretien publié toujours sur le site Iwacu-Burundi, quelques minutes avant sa comparution, le directeur du groupe de presse s’était montré serein et avait une fois de plus exprimé son attachement à son métier et défendu le professionnalisme de son équipe. « Le Groupe de presse Iwacu que je dirige depuis 8 ans a toujours agi dans le cadre de l’Etat de droit, en respectant les lois et les autorités publiques du pays. Cette ligne de conduite d’Iwacu n’a jamais été mise en cause, par aucune autorité publique : organe de régulation et de surveillance des médias, magistrature, organisations professionnelles des journalistes ».
« Notre ligne éditoriale, notre éthique, le respect de la déontologie nous ont toujours guidés. Nous sommes au service de la démocratie et de la République dans le cadre de ses lois. Nous connaissons les droits et devoirs des journalistes. Aujourd’hui comme hier, nous agissons dans la légalité, dans le respect de nos lecteurs et des citoyens qui nous font confiance. Notre devoir est d’informer, notre devoir est également de respecter notre pays, le Burundi », avait-il poursuivi, avant de se diriger vers le Parquet général. Il s’était enfin dit « très touché par les nombreux messages de soutien reçus du monde entier » dès l’annonce de la convocation.
Répression du gouvernement contre les médias
La communauté internationale avait des raisons de craindre pour la sécurité d’Antoine Kaburahe. En effet, depuis août dernier, plusieurs journalistes ont été pris à partie par des éléments des forces de l’ordre, parfois au su et au vu de tout le monde, sans que les auteurs soient punis ni poursuivis en justice.
Le 2 août dernier, Esdras Ndikumana, correspondant de RFI et de l’AFP, était ainsi arrêté par le Service national du renseignement (SNR) et roué de coups pendant plus de deux heures.
Les protestations des deux médias français auprès des autorités burundaises étant restées lettre morte, RFI, l'AFP et la victime directe ont porté plainte début octobre devant la justice à Bujumbura.
Le 4 septembre, Jean-Claude Ciza, ancien journaliste de la Radio -Télévision nationale du Burundi (RTNB), qui collabore actuellement avec la Radio -Télévision belge francophone( RTBF) et RFI, était atrocement battu à coup de barres de fer en pleine rue par Désiré Uwamahoro un officier de police souvent cité dans les rapports de l’ONU comme l’un des principaux responsables des violations des droits de l’homme dans ce pays.
D’autres actes de violence visant des journalistes ont été documentés par RSF et de nombreuses autres organisations. Selon RSF, « des journalistes qui ont pris le risque de rester au pays ou qui sont revenus après avoir fui les violences, font l’objet de harcèlement judiciaire et de procédures abusives de la part des autorités ».
Tandis que les médias privés qui ont été fermés après le putsch du 13 mai par décision de justice ne peuvent toujours pas reprendre leur activité.
« Depuis l’annonce de la candidature à un troisième mandat du président Nkurunziza, la répression du gouvernement contre les médias s’affiche ouvertement », affirme RSF. Pierre Nkurunziza a été réélu en juillet dernier pour un troisième mandat jugé anti-constitutionnel par l’opposition et la société civile ainsi que par la communauté internationale.