L'Allemagne traque les derniers nazis, faute d'avoir jugé leurs aînés

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Soixante-dix ans après le procès des dirigeants nazis à Nuremberg, l'Allemagne s'est lancée dans une course contre la montre pour juger les derniers criminels du IIIe Reich, espérant rattraper des décennies de léthargie judiciaire.

Ces procédures visent à punir "le moindre participant" aux crimes nazis mais aussi à "donner la parole aux derniers témoins", mêlant les logiques "pénale, pédagogique et sociale", analyse auprès de l'AFP Werner Renz, historien à l'Institut Fritz-Bauer de Francfort (centre).

Une douzaine d'enquêtes sont en cours contre d'anciens SS, quelques mois après la condamnation à quatre ans de prison d'Oskar Gröning, ex-comptable d'Auschwitz qui a confessé une "faute morale" et demandé pardon aux victimes de la Shoah, représentées par 70 parties civiles venues du monde entier.

Une femme de 91 ans et deux hommes de 92 et 93 ans, anciens télégraphiste ou gardiens d'Auschwitz, pourraient être jugés l'an prochain pour "complicité" dans l'extermination des Juifs. Les deux premiers, chose rare pour des nonagénaires, dépendent de la justice des mineurs.

"Il est trop tard pour les décisionnaires, alors on étend la notion de culpabilité à un point risible pour poursuivre les comparses", déplorait avant le procès Gröning l'avocat français Serge Klarsfeld, qui a consacré sa vie à traquer les nazis mais s'avoue gêné par ce zèle tardif.

- 'Deuxième faute' -

Pour les dossiers les plus avancés, la tenue d'un procès requiert une décision des tribunaux concernés, qui n'a rien d'une formalité tant l'ancienneté des faits et l'âge avancé des suspects ont mis fin à quantité de procédures.

L'enquête sur Oradour-sur-Glane (642 civils tués en France en juin 1944) a ainsi abouti fin 2014 à un non-lieu faute de preuves, alors que celle sur le massacre de Sant'Anna di Stazzema (560 civils tués en Italie en août 1944) a achoppé en mai sur l'état de santé du dernier officier survivant.

L'ex-SS néerlandais Siert Bruins, condamné à mort dans son pays en 1949 pour l'assassinat d'un résistant, a fini par être jugé fin 2013 en Allemagne où il avait trouvé refuge, mais les poursuites ont été abandonnées en plein procès, faute de témoins.

Même avortées, ces procédures témoignent de la sévérité accrue de la justice allemande à l'égard des derniers nazis, à la faveur d'une nouvelle génération de magistrats et du "travail mené après la Réunification sur les crimes de l'ex-RDA", qui posaient des problèmes juridiques assez proches, explique Christoph Safferling, professeur de droit pénal à l'Université d'Erlangen-Nuremberg.

Le bilan était jusqu'alors peu flatteur, au point d'avoir été qualifié de "deuxième faute" allemande par l'écrivain Ralph Giordano: pour le seul camp d'Auschwitz, où ont péri 1,1 million de personnes dont un million de Juifs, moins de 50 des 6.500 SS qui ont survécu à la guerre ont été condamnés.

- 80% d'anciens nazis -

"Il s'agit d'abord d'un échec politique. Puis d'un échec de la justice", estime Werner Renz, pour qui le refus de la jeune RFA d'intégrer à son droit la notion de "crimes contre l'humanité" a contraint ses tribunaux à juger les atrocités nazies avec "des instruments inadaptés".

Par ailleurs, dans une société en pleine reconstruction déjà peu désireuse de remuer le passé, "80% des fonctionnaires de justice des années 1950 et 1960 avaient été membres du parti national-socialiste", situation qui n'a guère favorisé les poursuites, complète Christoph Safferling.

Quelques procès emblématiques, dont celui d'ex-membres des pelotons d'exécution de l'Est (Ulm, 1958), d'anciens SS d'Auschwitz (Francfort, 1963-1965) et de Majdanek (Düsseldorf, 1975-1981) ont longtemps éclipsé dans l'opinion la rareté et la faiblesse des condamnations.

Mais trois lignes glissées en 1968 dans une loi forgée par l'ancien nazi Eduard Dreher, devenu haut fonctionnaire au ministère de la Justice, ont entraîné la prescription de milliers de procédures, dont l'enquête fleuve sur les "criminels de bureau" de l'Office central de la sécurité du Reich, chargés d'orchestrer les déportations.

"Il est peu probable que personne, parmi les super-juristes du ministère, n'ait vu venir ce danger. D'autant que la prescription a sauvé quelques-uns d'entre eux", commente M. Safferling, qui préside une commission d'enquête sur ce sujet et rendra ses conclusions à l'été 2016.