(La Haye, le 16 novembre 2016) – Les pays membres de la Cour pénale internationale (CPI) devraient protéger la capacité de la Cour à rendre justice de façon complète et équitable pour les pires crimes internationaux, a déclaré Human Rights Watch aujourd'hui. Les retraits récents de la Cour par trois pays africains soulèvent des inquiétudes quant au risque que les membres de la CPI pourraient faire des concessions sur les principes fondamentaux de la Cour lors de leur réunion annuelle du 16 au 24 novembre 2016, afin de dissuader d'autres pays de quitter la Cour.
En octobre et novembre, les gouvernements du Burundi, de la Gambie et de l'Afrique du Sud ont annoncé leurs retraits du Statut de Rome, le traité fondateur de la CPI. Ces retraits sont intervenus dans un contexte de réaction négative à l’égard de la CPI dans certains pays africains, notamment le Soudan et le Kenya. Les dirigeants de ces deux pays ont fait face à des accusations devant la Cour, et l'Union africaine (UA) a appelé à l'immunité de poursuites contre les chefs d'État et autres hauts fonctionnaires en exercice.
« Les retraits de la CPI risquent de devenir une monnaie d'échange pour les pays qui cherchent à rendre le monde plus sûr pour les dictateurs abusifs », a déclaré Elizabeth Evenson, directrice adjointe du programme Justice internationale à Human Rights Watch. « Toutefois, plusieurs États africains ont déjà signalé qu'ils n'avaient aucune intention de quitter la Cour, et tous les pays membres de la CPI devraient indiquer clairement que le mandat de ce tribunal n'est pas à vendre. »
Le Nigeria, le Sénégal, le Botswana, la Côte d'Ivoire, le Malawi, la Sierra Leone et la Zambie, à la suite des retraits, ont publiquement indiqué leur opposition aux retraits de la CPI. Deux cents organisations ont adressé le 14 novembre 2016 une lettre aux présidents de tous les pays membres africains de la CPI, pour appeler leurs gouvernements à continuer de soutenir la Cour. Parmi ces organisations figurent plus d’une centaine d’organisations locales basées dans plus de 25 pays africains et une centaine d’organisations pour la seule République démocratique du Congo, en plus d’organisations internationales.
Les pays membres de la CPI devraient réaffirmer leur soutien à la Cour dans des déclarations lors de la réunion annuelle de l'Assemblée des États Parties, en particulier pendant son segment d'ouverture de haut niveau, a déclaré Human Rights Watch.
Ne pas permettre à la position officielle d’un individu au sein d’un gouvernement de le protéger contre des poursuites, une caractéristique des tribunaux internationaux depuis les procès de la deuxième guerre mondiale à Nuremberg, est un élément fondamental de la mission de la Cour d'assurer la justice pour les crimes les plus graves. Laisser les leaders au pouvoir s’en tirer créerait des incitations perverses à ce que certaines personnes essayent de conserver le pouvoir indéfiniment pour éviter des poursuites.
Un tel changement ne permettrait pas de combler les lacunes réelles de la crédibilité du système judiciaire international, notamment les blocages politiques au sein du Conseil de sécurité des Nations Unies et l'incapacité des principaux pouvoirs comme les États-Unis à signer le traité, a déclaré Human Rights Watch.
« La question du risque d’une justice caractérisée par “deux poids, deux mesures” doit certes être abordée », a déclaré Elizabeth Evenson. « Mais la bonne réponse est d’élargir la portée du champ de travail de la CPI et d’insister sur une action cohérente en faveur de la justice de la part du Conseil de sécurité de l’ONU. Se retirer de la CPI ou porter atteinte à sa capacité de juger des dirigeants en exercice ne sert qu’à saper la justice pour les victimes des crimes les plus graves. »
Des négociations pour contester la capacité de la CPI de poursuivre des dirigeants en exercice pourraient se dérouler lors de la réunion de l'Assemblée des États Parties. D’autres actions de l’assemblée, à défaut d’amendements au traité fondateur, comme des résolutions, risquent encore d'être perçues comme entravant l'indépendance des juges, a déclaré Human Rights.
Les pays membres auront un certain nombre d'autres questions importantes à leur disposition lors de la réunion, y compris l'établissement du budget de la cour et le renforcement de la coopération des pays avec la Cour. Human Rights Watch, dans une note d’information avec des recommandations pour les pays membres, a déclaré que les membres de la CPI devraient tenir une session spéciale lors de la réunion de 2017 afin de faire le bilan des réalisations de la Cour et réfléchir au soutien politique nécessaire pour renforcer son rôle. Le traité de la CPI fêtera son 20ème anniversaire en 2018.
L'organe de direction de l'Assemblée devrait veiller à ce que des mesures soient prises pour répondre aux récentes constatations judiciaires de non-coopération dans les enquêtes et les poursuites de la CPI. Cela comprend une constatation par les juges que le gouvernement du Kenya n'a pas coopéré pleinement dans l'affaire maintenant retirée contre le président Uhuru Kenyatta.
Les pays africains ont conduit les efforts pour établir la CPI dans les années 90, en plaçant la responsabilité des crimes d'atrocité au premier plan de l'agenda international. La CPI a dû faire face à diverses tentatives pour faire échec à ses travaux depuis que son traité a pris effet en 2002. L'administration américaine de George W. Bush a lancé le premier défi. Entre 2002 et 2005, Washington a découragé activement les pays de se joindre à la CPI et a contraint des pays à conclure ce que l'on a appelé des « accords bilatéraux d'immunité » afin de protéger les ressortissants américains contre les poursuites devant la Cour.
Alors qu’un comité de l'Union africaine menace de demander aux membres de l'UA de se retirer de la Cour pénale internationale, plusieurs activistes africains plaident en faveur de la CPI, en tant que tribunal international apte à rendre justice aux victimes de graves crimes et violations des droits humains quand les juridictions nationales ne le font pas.
La CPI est la première cour permanente du monde chargée de traduire en justice les personnes responsables de crimes de guerre, de crimes contre l'humanité et de génocide lorsque les tribunaux nationaux ne peuvent ou ne veulent pas le faire. Le Statut de Rome a créé l'Assemblée des États Parties pour assurer la surveillance de l'administration de la cour. Elle est composée de représentants de chaque pays membre et elle doit se réunir au moins une fois par an.
En se retirant de la CPI, le gouvernement sud-africain a invoqué un prétendu conflit entre ses obligations envers la CPI et sa capacité d'interagir avec les dirigeants dans son rôle de garant régional de la paix. Un tribunal sud-africain a conclu que le gouvernement avait violé ses obligations nationales et internationales en omettant d'arrêter le président du Soudan, Omar al-Bashir, fugitif de la CPI, lors de sa visite dans le pays pour un sommet de l'UA en juin 2015. Al-Bashir fait l’objet de deux mandats d’arrêt de la CPI, pour crimes présumés de génocide, crimes de guerre et crimes contre l'humanité commis dans la région du Darfour au Soudan.
La compétence de la Cour pour les crimes internationaux présumés peut être déclenchée de trois manières. Les pays membres de la CPI ou le Conseil de sécurité peuvent saisir la Procureure de la CPI d'une situation, c'est-à-dire d'un ensemble spécifique d'événements, ou bien le Bureau du Procureur de la CPI peut demander à sa propre initiative l’autorisation d’une chambre préliminaire de juges de la CPI pour ouvrir une enquête.
Des enquêtes en République centrafricaine, en République démocratique du Congo, au Mali et dans le nord de l'Ouganda ont été ouvertes à la demande du gouvernement. Les situations au Darfour et en Libye ont été renvoyées par le Conseil de sécurité, tandis que la Procureure de la CPI a demandé aux juges de la CPI d'ouvrir les enquêtes en Côte d'Ivoire, en Géorgie et au Kenya.
La Procureure examine également un certain nombre d'autres situations dans les pays du monde entier. Il s'agit notamment de l'Afghanistan, du Burundi, de la Colombie, du Gabon, de la Guinée, du Nigeria, de la Palestine, des abus allégués des forces armées britanniques en Irak, et de l'Ukraine.
« Il est triste de voir le gouvernement sud-africain se tenir aux côtés des idéologues des premières années Bush », a conclu Elizabeth Evenson. « À l'heure de divisions profondes et de la multiplication des crises des droits humains dans le monde entier, la CPI est plus nécessaire que jamais et les membres de la CPI devraient la protéger. »
Cet article a été précédemment publié par Human Rights Watch.