A l’issue d’un long débat la semaine dernière sur la situation au Soudan du Sud, le Conseil de sécurité de l’ONU n’est pas parvenu à se mettre d’accord sur une action pour prévenir le pire. La proposition d’un embargo sur les armes, soutenue par Washington et ses alliés occidentaux, s’est heurtée à l’opposition de la Russie. Le conseiller spécial de l’ONU pour la prévention du génocide, Adama Dieng, avait pourtant, lors des débats, averti sur un risque de génocide dans la plus jeune nation du monde. Depuis 2013, deux ans seulement après son indépendance, le Soudan du Sud sombre dans une guerre civile sanglante entre partisans du président Salva Kiir et de son ancien vice-président Riek Machar, aujourd’hui en exil.
« La semaine dernière, j’ai vu tous les signes indiquant que la haine ethnique et la prise pour cible de civils pourraient évoluer en génocide si rien n’est fait pour y mettre fin ». Adama Dieng a lancé cet avertissement le jeudi 17 novembre devant le Conseil de sécurité de l’ONU, à son retour du Soudan du Sud. Le conseiller spécial du secrétaire général pour la prévention du génocide a ainsi exhorté les Nations unies à imposer un embargo sur les armes à destination de ce pays, ainsi que le gel des avoirs et des interdictions de voyager contre « les plus hauts dirigeants sud-soudanais. « L’heure est grave au Soudan du Sud et il est urgent d’agir », a-t-il insisté.
S’exprimant à son tour devant le Conseil de sécurité, la représentante spéciale de l’ONU pour le Soudan du Sud, Ellen Margrethe Løj, a mis en garde contre un risque de « guerre civile » à grande échelle dans le pays. Dénonçant une rhétorique incendiaire ainsi que des incitations aux violences, elle a fait état d’une exacerbation des tensions ethniques et d’affrontements sporadiques entre l’Armée populaire de libération du Soudan (APLS) du président Kiir et d’autres groupes armés dans l’État de l’Équatoria, selon un compte-rendu publié sur le site des Nations unies.
Plusieurs délégations, dont celles des États-Unis, du Royaume-Uni, de la France et de la Nouvelle-Zélande, se sont prononcées en faveur d’un tel embargo. Sans mâcher ses mots, la représentante des Etats-Unis, Samantha Power, a déclaré que le Soudan du Sud était au bord du gouffre. « Il est temps de réagir », a-t-elle dit, tout en soulignant que tous les « ingrédients » étaient en place pour une dramatique escalade de la violence dans le pays. Parmi ces « ingrédients », elle a mentionné l’aggravation des tensions ethniques et le fait que la Mission de l’ONU dans le pays (MINUSS) n’a pas les capacités d’endiguer une éventuelle recrudescence des violences avec la perpétration d’atrocités de masse. Elle a noté que cette incapacité de la MINUSS était aggravée par l’opposition du gouvernement sud-soudanais au déploiement d’une force de protection régionale forte de 4.000 hommes. La diplomate américaine a enfin attiré l’attention du Conseil sur les intimidations des dirigeants sud-soudanais vis-à-vis des journalistes et de la société civile. « La situation au Soudan du Sud rappelle les signes avant-coureurs au Rwanda (en 1994) et à Srebrenica que l’ONU a préféré ignorer », a-t-elle averti.
L’opposition de la Russie
Pour sa part, le délégué de la Russie a rejeté l’idée d’un embargo et de sanctions ciblées. Petr Iliichev a relevé qu’en Centrafrique, un autre pays africain en proie à un grave conflit intercommunautaire, l’embargo sur les armes « ne fonctionne absolument pas ». Sans citer nommément aucun pays, il s’est enfin étonné de l’insistance avec laquelle certains des membres du Conseil veulent imposer un embargo au Soudan du Sud, alors que leurs gouvernements fournissent en armes les parties prenantes à d’autres conflits.
Le représentant du Soudan du Sud, Joseph Moum Majak Malok, a reconnu que son pays était divisé et en a appelé au soutien de la communauté internationale pour restaurer l’unité. Il a affirmé que l’inclusion de tous les groupes ethniques et politiques était l’objectif à atteindre « pour autant que ces groupes adhèrent à l’état de droit ». Mais pour lui, la réponse internationale apportée jusqu’à présent ne fait pas de distinction entre le gouvernement élu du président Salva Kiir et la rébellion conduite par son rival et ancien vice-président Riek Machar. « Refuser au gouvernement du Soudan du Sud les moyens nécessaires à la protection de sa population et de ses frontières revient à saper sa souveraineté, ce qui est totalement inacceptable », a plaidé le représentant de Juba.
A l’issue des discussions, vendredi soir, le Conseil de sécurité s’est contenté d’une déclaration condamnant fermement toutes les attaques contre des civils, les homicides à connotation ethnique, les discours haineux et les incitations à la violence au Soudan du Sud.
Les 15 membres du Conseil ont demandé au gouvernement de Juba de s'attaquer immédiatement au discours de haine et aux violences ethniques, afin de promouvoir la réconciliation au sein de son peuple, y compris par un processus de justice et de responsabilité.
Ils se sont déclarés disposés à envisager des mesures supplémentaires pour empêcher une nouvelle escalade de la violence et du conflit, y compris des sanctions potentielles qui pourraient être appropriées pour faire face à la situation.
Entre-temps, le calvaire des civils du Soudan du Sud se poursuit. Ceux qui ne tombent pas sous les balles continuent de fuir leur pays, cherchant refuge en Ouganda et en République démocratique du Congo.