Le procès de Ratko Mladic devant le tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) entre dans sa dernière ligne droite. Le procureur prononcera son réquisitoire à partir du 5 décembre, suivi des plaidoiries de la défense. En procès depuis plus de quatre ans, l’ex chef militaire des Serbes de Bosnie est accusé de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis entre 1992 et 1995 en Bosnie-Herzégovine.
« J’ai demandé Mladic », avait expliqué Radovan Karadzic devant l’Assemblée des Serbes de Bosnie, dont la transcription des débats figure aux dossiers du tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). En mai 1992, le chef politique des Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic, choisissait, parmi les officiers émargeant à Belgrade, celui qui prendrait la tête de l’armée des Serbes de Bosnie (VRS). Vingt ans plus tard, le procès de Ratko Mladic débutait à La Haye, où le général serbe est poursuivi pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Au cours de leurs procès respectifs, chacun des deux hommes a tenté de faire peser sur l’autre la responsabilité des 44 mois du siège de Sarajevo ; bombardée, soumise aux snipers, et affamée ; de la terreur, des meurtres et des déportations visant l’épuration ethnique des villes et villages de Bosnie-Herzégovine, du massacre de plus de 7000 hommes à Srebrenica. Au fil de la guerre, malgré la défiance et les désaccords, les deux hommes agissaient de concert, écrivaient néanmoins les juges en condamnant Radovan Karadzic à 40 ans de prison, en mars 2016. Le psychiatre de Sarajevo était le supérieur de Ratko Mladic, ont acté les magistrats, lui qui répétait à loisir n’être qu’un soldat sans ambitions politiques.
Les civils deviennent des pions
Ratko Mladic compte parmi les premiers accusés de ce tribunal créé par le Conseil de sécurité de l’Onu en mai 1993, et le dernier à y être jugé. Longtemps protégé par des militaires et des nationalistes de Belgrade, le général serbe était parvenu à échapper au tribunal pendant 16 ans, avant d’être débusqué par la police de Serbie le 26 mai 2011, dans la maison d’un cousin à Lazarevo, un village de Serbie. A l’ouverture de son procès, un an plus tard, l’officier, qui voulait comparaitre en uniforme, avait été débouté. Ses galons de général ne seront pourtant pas pour rien dans sa probable condamnation. C’est lui qui a traduit en ordres militaires les directives adoptées par les chefs politiques bosno-serbes, Radovan Karadzic et Momcilo Krajisnik, le chef de l’Assemblée, guidés, depuis Belgrade, par Slobodan Milosevic. Venu défendre Mladic à la barre du tribunal, son ex adjoint et bras droit, Manjolo Milovanovic, rapportait ses déclarations devant l’Assemblée bosno-serbe en mai 1992, lors de l’adoption des « six directives » qui allaient mettre la Bosnie à genoux. « Nous ne pouvons pas nettoyer, et nous ne pouvons pas avoir un tamis » dans lequel seuls « les Serbes tomberaient et les autres partiraient, disait Ratko Mladic. Je ne sais pas comment monsieur Krajisnik et monsieur Karadzic pourraient expliquer cela au monde. Ce serait un génocide. »
Dans le box des témoins, l’expert du procureur, Robert Donia, analysait : « il était entendu que ‘génocide’ était un sale mot, que les Serbes n’en étaient pas capables » et Mladic l’a utilisé pour provoquer un « choc » par rapport « à certaines activités qu’il pensait être en cours, ou qui pourrait découler de l’ambitieux programme que la direction préconisait ».
Favorable au projet d’épuration de territoires considérés serbes, l’officier s’inquiète néanmoins du défi d’une recomposition ethnique de la Bosnie. « Les gens et les peuples ne sont pas des pions ni des clés dans une poche qui peuvent être déplacés d’ici à là. C’est quelque chose de facile à dire mais difficile à atteindre .
prévient-il devant l’Assemblée. Après quatre ans de guerre et près de 100 000 morts, les serbes de Bosnie règnent sur leur propre entité, au sein d’une Bosnie-Herzégovine ingouvernable. Les six objectifs stratégiques des chefs politiques serbes de Bosnie, Mladic les compile, en mai 1992, en quelques formules dans son journal de guerre : « Se séparer des Croates et des Musulmans pour toujours », écrit-il. « Une partie de Sarajevo doit être à nous », il faut « avoir un passage vers la mer » et « établir un lien avec la Serbie sur la Drina », le fleuve qui marque la frontière entre la Serbie et la Bosnie, qui faisaient partie, jusqu'au début de 1992, des six Républiques formant la Yougoslavie.
Journal de guerre
Le journal de guerre de Ratko Mladic avait été saisi par la police serbe, derrière la garde-robe de son épouse, lors de perquisitions conduites à son domicile de Belgrade, en 2008 et 2010. Il figure parmi les pièces clé de l’accusation, récoltées au cours de quinze années d’enquête. Pour appuyer ces pièces, le procureur a appelé 169 témoins à la barre : victimes, experts - balistiques, militaires, médico-légaux, historiens, démographes - officiers de la Force de protection des Nations unies (Forpronu), diplomates, journalistes, etc. En face, Ratko Mladic a appelé 208 témoins pour défendre une stratégie maintes fois tentée par ceux qui l’ont précédé dans le box des accusés. Quand le procureur assure que les forces bosno-serbes modulaient le niveau de terreur à Sarajevo « pour obtenir des concessions » du gouvernement bosniaque et de la Communauté internationale, et « empêcher la Bosnie-Herzégovine de devenir un Etat indépendant ».
Ratko Mladic affirme avoir agi en légitime défense, contre les plans supposés d’islamisation de la Bosnie-Herzégovine. Accusé pour les bombardements du marché de Markale, au centre de Sarajevo, en février 1994 et août 1995, il assure que les tirs provenaient des bosniaques, visant leur propre population dans l’espoir de susciter une intervention de la communauté internationale. A sa demande, plusieurs membres de la Forpronu viendront expliquer à la barre les doutes persistants sur ces épisodes. Poursuivi aussi pour l’enlèvement de quelques 200 membres de l’Onu, utilisés comme boucliers humains au printemps 1995 pour empêcher toute intervention de l’Otan, Ratko Mladic assure qu’ils ont été traités en prisonniers, dans les règles des Conventions de Genève. A l’époque, les chefs bosno-serbes préparaient l’opération Krivaja 95, visant à reprendre les enclaves de Srebrenica et Zepa, placées deux ans plus tôt sous la protection des Nations unies. Suite à la prise de Srebrenica, le 11 juillet 1995, des milliers de femmes et d’enfants sont déportés par bus vers d’autres territoires de Bosnie. Leurs époux et leurs pères, prisonniers des soldats serbes, sont éliminés un à un dans des fermes, des écoles, des hangars de la région. Comme Karadzic l’avait fait avant lui, Ratko Mladic conteste le nombre de 7000 morts à Srebrenica et affirme que les hommes sont tombés au combat, malgré les expertises médico-légales. Le tribunal a pu reconstituer par le détail les manœuvres destinées à camoufler les crimes. Les corps sont retrouvés dans plusieurs fosses communes. Comme dans la région de Prijedor. En 2012, près de 700 cadavres étaient retrouvés dans les mines de fer de Tomasica, Jakarina Kosa et Redak, grâce aux aveux d’un ancien soldat serbe. De nombreux experts et témoins viendront à la barre, faisant parler les morts, pour beaucoup des civils, massacrés dans la région de Prijedor. Appelé par Ratko Mladic, l’un des directeurs de ces mines, Ostoja Marjanovic, affirmera qu’il ignorait que les mines étaient utilisées pour cacher des centaines de corps. « Moins vous en savez, mieux vous vous portez », avait-il déclaré aux trois juges.
Le paradis de Mladic
Pour Srebrenica, le général Mladic a un alibi. Entre le 14 et le 17 juillet, il était à Belgrade assure ses avocats. Des faits que le procureur ne conteste pas. Mais il affirme qu’il pouvait donner ses ordres depuis Belgrade. Le 16 juillet, alors que ses soldats exécutent leurs prisonniers à la ferme de Branjevo, Ratko Mladic est à un mariage. Les mariés sont venus au tribunal affirmer qu’à aucun moment, l’officier n’aurait communiqué à l’extérieur. Quant au terme de leur déposition, le juge-président Alphons Orie, permet à l’accusé de rencontrer ses amis au parloir de la prison, il se voit gratifié d’un « camarade Orie ». Dès sa libération, promet Mladic, il lui enverra une bouteille de Brandy, du même cru que celui qu’il buvait sur la ligne de front. Mais ce 16 juillet, jour du massacre de Branjevo, Ratko Mladic aurait donné des ordres depuis Belgrade assure l’accusation, qui produit une vidéo d’une réunion à l’Académie militaire médicale, dans la capitale serbe. Appelée à la barre, l’épouse confirme mot pour mot la thèse de son mari. Elle se rappelle lui avoir demandé s’il était responsable des exécutions à Srebrenica. « Il est devenu sérieux, m’a lancé un regard acéré et m’a demandé ‘est-ce que tu doutes de ma parole ?’ ».
Avant qu’il ne soit envoyé à La Haye, Bojilska Mladic assure ne plus avoir eu de nouvelles pendant dix ans, depuis le 28 juin 2001, jour de l’arrestation de Slobodan Milosevic. Affaibli et amaigri en débarquant à La Haye, l’homme qui a subi deux attaques cérébrales peine à se concentrer. Les journées d’audiences sont écourtées. Un jour de 2013, alors que le tribunal débat une énième fois de son état de santé, Mladic remercie les médecins et le tribunal de l’avoir « sorti de la tombe ». Sans le tribunal, « j’aurai depuis longtemps visité Saint Pierre (...) j’aurai été au paradis depuis longtemps ». En attendant, il risque la perpétuité.