OPINION

La semaine de la justice transitionnelle : la question de l'immunité de la Tunisie à la Colombie

La semaine de la justice transitionnelle : la question de l'immunité de la Tunisie à la Colombie©Scott Chacon/Flickr
L'Eglise de Ntrama au Rwanda où 5000 personnes furent massacrées durant le génocide de 1994
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Cette semaine, la justice transitionnelle a démontré ces différentes facettes ; de la Colombie où un nouvel accord de paix a été finalement ratifié à la Tunisie où se poursuivent les auditions publiques des victimes de l’ancien régime en passant par le Rwanda où le rôle de l’Eglise catholique durant le génocide reste débattu.

Le Président Colombie Juan Manuel Santos et les FARC, le principal groupe de guérilla du pays, tous deux signataires de l’accord ont désormais six mois pour le mettre en œuvre. Au cœur du processus, la justice et l’impunité.

La correspondante de JusticeInfo.net à Bogota explique : « Dans cette nouvelle version, le fonctionnement de la justice spéciale de paix est détaillé. Le texte insiste sur le fait que le tribunal aura toutes les facultés d’enquêter sur les crimes des guérilleros pour garantir des aveux complets, sans lesquels ils ne bénéficieront pas des aménagements de peine prévus. Ces précisions répondent en partie aux objections de l’organisation Human Rights Watch, qui considérait le premier accord de paix trop vague et aux mises en garde de la Cour Pénale Internationale, selon lesquelles tout dépendrait du “sérieux des sanctions”. 

De même, l’armée et les groupes paramilitaires devraient répondre de leurs crimes présumés mais, écrit notre correspondante « le nouvel accord semble restreindre les possibilités de condamner les commanditaires de crimes, dont les militaires, responsables de nombreuses exécutions extrajudiciaires ». Une loi spéciale adopté in extremis pourrait les protéger des poursuites.

Tunisie et les tortionnaires

Cette même question de l’impunité hante les auditions des victimes de l’Instance Justice et Vérité en Tunisie, notamment sur la comparution des tortionnaires. Ces exécutants des basses œuvres du régime de Ben Ali dont les tortures sont révélées jour après jour par leurs victimes sont restés silencieux et refusent de témoigner. Les experts ès justice transitionnelle interrogés par notre correspondante à Tunis, Olfa Belhassine expliquent que la vérité doit inclure les deux perspectives, celle des victimes et celle des bourreaux. Sinon ce sera « une vérité tronquée, subjective », dit Kora Andrieu, spécialiste de la justice transitionnelle : « Si on ne publie qu’une vérité victimaire, non seulement on perd un pan entier de la réalité du passé que l’on cherche à « traiter », mais en plus on peut donner l’impression que les victimes sont instrumentalisées. Pour prendre l’exemple du Maroc, l’impression qui domine quand on regarde les audiences de l’Instance équité et réconciliation, c’est que les victimes ont été « utiles » au gouvernement : en témoignant, elles lui ont donné l’occasion de se refaire une légitimité mais sans jamais remettre en cause le régime, sans établir les causes profondes, structurelles, institutionnelles qui ont rendu ces violations possibles. Et cette histoire là, les victimes seules ne l’ont pas toujours ».

Cette question fondamentale de la mémoire et du récit commun des violations massives des droits de l’homme occupe toujours le Rwanda, vingt ans après le génocide. Le rôle de l’Eglise reste débattu et le gouvernement de Kigali a estimé « inadéquates » les excuses présentées fin novembre dans une lettre pastorale par la hiérarchie catholique rwandaise. Pour Kigali, le Vatican doit demander pardon pour le rôle de l’Eglise en tant qu’institution durant le génocide. Notre correspondant à Kigali Emmanuel Sehene Rugigiro écrit : « L’actuel gouvernement rwandais accuse l’Eglise catholique, non seulement d’avoir abandonné les Tutsis en 1994, mais aussi d’avoir joué un rôle de premier plan dans la mise en place et l’exacerbation d’une idéologie coloniale qui a culminé avec le génocide perpétré contre les Tutsis. Cette lourde accusation avait été notamment réitérée par le président Paul Kagamé lors des commémorations du 20ème anniversaire du génocide en avril 2014. Une thèse partagée par des prêtres catholiques, notamment tutsis, dont certains commencent à l’exprimer publiquement au risque d’entrer en conflit avec leur hiérarchie. »

Les morts ouvrent les yeux des vivants

Toujours dans ce souci de mémoire, un projet suisse tente de rendre justice aux disparus et oubliés, écrit un article de notre partenaire, swissinfo, titré, « les morts ouvrent les yeux des vivants ». Reprenant un proverbe espagnol.

Charniers clandestins au Mexique, disparus en Argentine, mutisme autour du franquisme, guerre en Syrie: autant de dossiers des droits de l’homme qui réclament vérité et justice. Mais que se passe-t-il lorsque la recherche de la vérité se heurte à l’impunité ? Un projet suisse, montre swissinfo, tente d’apporter une réponse à cette question. Marcela Aguila Rubin de swissinfo explique : «Le programme Right to Truth, Truth(s) through Rights s’interroge sur la manière dont le droit à la vérité est applicable dans des contextes dans lesquels la justice pénale est inaccessible», résume sa directrice Sévane Garibian, professeure aux universités de Genève et Neuchâtel.

«Quelle est la signification du droit à la vérité quand il n’existe pas de procédures pénales en raison de lois d’amnistie, d’un négationnisme d’Etat, d’une politique de disparition systématique des corps ou de la mort des responsables. Comment protéger les preuves et travailler sur les traces de la violence extrême, en dehors du cadre de la justice pénale?», poursuit-elle.

L’hypothèse de base est la suivante: le droit, en plus d’avoir une fonction de réglementation, a aussi une «fonction cognitive» qui, dans des contextes de post transition, se base sur trois types de preuves: les témoignages, les archives et les restes humains »