Le procès de Dominic Ongwen a débuté devant la Cour pénale internationale (CPI) mardi 6 décembre. L’ancien commandant de l’Armée de résistance du Seigneur doit répondre de crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis dans le nord de l’Ouganda entre 2002 et 2005.
Assis au banc des accusés, Dominique Ongwen noirci les pages de son cahier d’écolier, tandis que la greffière lit, un à un, les 70 chefs d’accusations dressés contre lui par le procureur. Au 58ème, son avocat principal, Krispus Ayena Odongo, repose la tête sur le dossier de son large fauteuil, tandis que Dominic Ongwen s’applique à relire les quelques lignes qu’il vient de rédiger. La veille de l’audience, ses avocats ont tenté d’obtenir un report de l’affaire, arguant que leur client n’était pas apte à suivre son procès et affirmant qu’il ne comprenait rien des charges portées contre lui. Une manœuvre dilatoire pour les juges, peu enclins à céder à la tactique. Le président s’assurera donc lui-même que l’accusé comprend bien la nature des accusations. Plaidant debout sa propre cause, Dominic Ongwen rejette la responsabilité des crimes sur l’Armée de résistance du Seigneur (LRA). « C’est la LRA qui a enlevé les enfants dans le nord de l’Ouganda, déclare-t-il. C’est la LRA qui a tué les gens dans le nord de l’Ouganda. C’est la LRA qui a commis des atrocités dans le nord de l’Ouganda ». Pour se faire plus précis, il rappelle aux trois juges que « la LRA, c’est Joseph Kony qui en est le chef ». Lui compte parmi les victimes, celles contre lesquelles « la LRA a commis des atrocités ». Mais enlevé par la milice à l’âge de 14 ans, Dominic Ongwen en est devenu, en 27 ans de combats, l’un de ses principaux commandants. Il plaide « non coupable ».
Victime ou bourreau ?
C’est en semant le doute que la défense espère convaincre les juges. Mais ce n’est pas vraiment le portrait d’un enfant-soldats qu’a dressé la procureure. Fatou Bensouda a néanmoins décidé de lever l’ambiguïté, de s’emparer d’office de la question. D’autant qu’elle fait aussi débat pour nombre d’ougandais, dont d’ex enfants soldats qui tentent péniblement, depuis leur reddition, de faire oublier leur passé. Dominic Ongwen « a aussi été victime », déclare-t-elle. « Lui-même a dû subir le traumatisme d’être séparé de sa famille, les brutalités de ses ravisseurs, et l’initiation à la violence » de la LRA. « L’histoire des enfants victimes dans cette affaire aurait pu être, dans d’autres circonstances, l’histoire de l’accusé lui-même ». Selon l’un des témoins dans l’affaire, dont la procureure rapporte les propos, « Dominic Ongwen était bon, il pouvait jouer avec les garçons sous son commandement et était aimé de tout le monde ».Mais c’est le même témoin qui a expliqué « qu’elle était encore trop jeune pour tomber enceinte » , raconte la procureure, mais qu’elle a néanmoins été violée par l’accusé. Elle porte encore sur ses seins les cicatrices des bastonnades infligées par Ongwen lorsqu’elle n’avait pas fait correctement son lit. Pour Fatou Bensouda, le passé du jeune Ongwen ne justifie aucun des crimes. Et quand d’autres soldats de la milice ont décidé de se rendre à l’armée ougandaise en échange d’une amnistie, Dominic Ongwen a, lui, décidé de continuer à combattre.
Un féroce combattant
Au sein de la milice fondée à la fin des années 1980 pour lutter contre le tout nouveau régime de Yoweri Museveni, Dominic Ongwen fait rapidement figure de féroce combattant. Conduite par Joseph Kony, l’Armée de résistance du Seigneur demande un partage des richesses en faveur du nord, trop longtemps délaissé, et base ses revendications sur les Dix-commandements de la Bible. En 30 ans de combat, d’abord dans le nord de l’Ouganda, puis, suite à l’échec de négociations de paix, en Centrafrique, au sud du Soudan, et en République démocratique du Congo (RDC), la LRA aurait tué plus de 100 000 personnes et capturé au moins 30 000 enfants. Elle s’illustre par une cruauté particulière, comme reflétée sur l’une des vidéos que diffuse la procureure à l’audience, sur laquelle on voit des corps d’enfants brûlés vifs, d’autres éventrés. Selon les statistiques des autorités ougandaises, la LRA aurait conduit plus de 700 attaques entre 2002 et 2004. Contre Dominic Ongwen, le procureur évoquera dans le détail quatre d’entre elles. Celles contre les camps de déplacés de Pajule, Lukodi, Odek et Abok. A ses petits soldats, le chef de la brigade Sinia – l’une des quatre brigades de la LRA – ordonne de « tuer tous ceux qui ne sont pas les nôtres ». Aux ordres de Dominic Ongwen, ils pillent aussi les échoppes et les habitations de fortune, puis enlèvent femmes et enfants. Les garçons subissent les rituels, destiné à les endurcir aux horreurs de la guerre. L’un d’entre eux devra regarder pendant trois jours le corps de son père se décomposer. Au combat, « s’ils ne courraient pas assez vite, ils étaient battus ou tués ».
Les sept « épouses » de Dominic Ongwen
Les filles sont, elles, offertes comme épouses par Dominic Ongwen à ses soldats. Les règles de la LRA sont strictes, et n’autorisent pas les relations sexuelles hors mariage. Le commandant Ongwen aura lui-même au moins sept « épouses », selon l’accusation. Les jeunes femmes ont déjà déposé à huis clos témoignant de leur viol, au cours de l’automne 2015, et leur témoignage a été versé au dossier. Certaines sont tombées enceinte suite à ces mariages forcés. Le procureur a identifié douze enfants issus de ces viols, ce qu'ont confirmé des tests de paternité réalisé par l’Institut médico-légal des Pays-Bas. Ces enfants sont aussi des victimes, a expliqué Fatou Bensouda, honnis pour leurs liens de parenté. Le substitut Benjamin Gumpert, chargé de conduire le procès, a ensuite évoqué en détail les pièces du dossier. Les premiers témoins devraient commencer à déposer en janvier. Parmi eux, des agents de renseignements ougandais, qui pendant dix ans, ont écouté les communications de la LRA, depuis des baraquements de l’armée ougandaise à Gulu, chef-lieu du nord de l’Ouganda. Les commandants, dont Ongwen, faisaient rapport de leurs attaques au chef Kony, le plus souvent exilé au sud du Soudan. Grâce à ces interceptions, le procureur espère démontrer qu’Ongwen était un commandant de premier plan. Trois autres chef de la milice – Odiambo, Vincent Otti et Lukwaya – ont fait l’objet de mandats d’arrêt émis en 2005, mais seraient décédés. Seul, Joseph Kony échappe au bureau du procureur et aux armées de la région dédiées à sa traque, malgré le soutien de conseillers américains. Le procureur devrait aussi appeler à la barre des victimes dont deux anciens bras droits de Dominic Ongwen. Enlevé à 14 ans, arrêté au nord de la Centrafrique et transféré à La Haye 27 ans plus tard, Dominic Ongwen était, disait-on, ravi de sa nouvelle vie en prison. Mais au premier jour de son procès, l’ancien enfant soldat, l’ex commandant de la brigade Sinia, a dit avoir l’impression d’avoir « rejoint le bush pour la seconde fois ».