L’historien Ferdinand Nahimana et l’Abbé Emmanuel Rukundo, qui comptent parmi les plus connus des condamnés du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), ne pouvaient pas rêver mieux. C’est en hommes libres que le célèbre universitaire et l’ex-aumônier militaire vont commencer l’année 2017. Dans deux décisions distinctes datées du 5 décembre et publiées mercredi sur le site internet de son institution, le président du Mécanisme de l’ONU pour les Tribunaux pénaux internationaux (MTPI), le juge Theodor Meron, a répondu favorablement à leurs demandes de libération anticipée.
Condamnés respectivement à 30 ans et 23 ans d’emprisonnement, l’universitaire Ferdinand Nahimana et l’Abbé Emmanuel Rukundo étaient détenus à Koulikoro, au Mali, en vertu d’un accord sur l’exécution des peines signé entre les Nations unies et ce pays d’Afrique de l’Ouest.
« Même si les crimes dont Nahimana a été reconnu coupable sont très graves, le fait qu’il a déjà terminé les deux-tiers de sa peine depuis le 27 mars 2016 et le fait qu’il a montré des signes de réhabilitation militent en faveur de sa libération anticipée », indique le juge Meron. « Pour des motifs, je fais droit à sa demande », conclut le président du MTPI.
C’est pour les mêmes raisons que le juge américain a décidé d’accorder la mesure de libération anticipée à l’Abbé Emmanuel Rukundo, qui était aumônier militaire dans le nord du Rwanda.
Ces deux décisions portent à dix le nombre de personnes ayant bénéficié de libérations anticipées sur les 61 condamnés du TPIR. Ces remises de peines sont critiquées à Kigali où certains milieux estiment qu’elles minimisent le génocide perpétré contre les Tutsis en 1994.
En répondant favorablement aux demandes de Nahimana et Rukundo, le juge Meron a été guidé, comme dans d’autres décisions antérieures, par le souci d’harmonisation avec la pratique au Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) où les condamnés sont éligibles à la libération anticipée lorsqu’ils ont fini de purger les deux-tiers de leur peine.
Le président du MTPI s’est par ailleurs appuyé sur les rapports des autorités pénitentiaires maliennes soulignant le comportement exemplaire des deux condamnés durant leur détention.
Nahimana, ancien professeur d’Histoire à l’Université nationale du Rwanda (UNR), fut membre du « Comité d’initiative » à l’origine de la création de la Radio-télévision libre des mille collines (RTLM) qui déversait des appels à la haine ethnique avant et pendant le génocide des Tutsis d’avril à juillet 1994.
Arrêté en mars 1996 au Cameroun, ce docteur en Histoire de l'Université de Paris VII-Jussieu avait été condamné à la perpétuité le 3 décembre 2003 après avoir été reconnu coupable d’entente en vue de commettre le génocide, génocide, incitation directe et publique à commettre le génocide ainsi que de persécution et extermination en tant que crimes contre l’humanité.
Dans leurs conclusions, les juges de première instance avaient trouvé établie, au-delà de tout doute raisonnable, l’existence, entre Nahimana et ses deux co-accusés et entre leurs organes de presse, d’une « entente en vue de commettre le génocide » des Tutsis.
Né en 1950 dans le nord du Rwanda, l’ex-professeur à l’UNR était jugé avec Jean-Bosco Barayagwiza - un autre fondateur de la RTLM- et Hassan Ngeze, ancien directeur du journal Kangura.
Nahimana : annulation en appel de la condamnation pour entente
Dans son arrêt rendu le 28 novembre 2007, la chambre d’appel a cassé certaines conclusions des juges de première instance, dont celle relative au complot en vue de commettre le génocide.
Les juges d’appel ont retenu la responsabilité de Nahimana seulement pour n’avoir pas usé de son autorité de facto sur le personnel de la RTLM pour prévenir ou arrêter la diffusion d’émissions incitant à la haine contre les Tutsis après l’assassinat du président hutu Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994.
Ils ont en conséquence réduit la peine à 30 ans d’emprisonnement.
Lors de son procès, le condamné avait reconnu les dérives génocidaires de la RTLM après le 6 avril 1994 mais en insistant qu’il n’exerçait aucun contrôle, ni de fait ni de droit, sur cette radio qui avait, selon lui, sa propre direction.
Pour sa part, l’Abbé Emmanuel Rukundo avait été condamné à 25 ans de prison en première instance après avoir été jugé coupable de génocide, extermination et assassinats. La chambre d’appel a confirmé l’essentiel du jugement mais en estimant que le premier juge avait commis quelques petites erreurs. D’où la réduction de la peine de 25 à 23 ans de prison.
Selon l'arrêt, l'ex-aumônier militaire a notamment aidé et encouragé l'enlèvement et les massacres de Tutsis qui avaient cherché refuge au Collège Saint- Joseph et au Petit Séminaire Saint-Léon situés tous les deux à Kabgayi, dans le centre du Rwanda.
Le prêtre catholique, né en 1959 dans le centre du Rwanda, avait été arrêté à Genève, en Suisse, le 12 juillet 2001.