Un survivant de Hissène Habré à la barre… « Je me suis senti plus grand quand j’ai témoigné »

Un survivant de Hissène Habré à la barre…     « Je me suis senti plus grand quand j’ai témoigné »©CAE
Souleymane Guengueng et Hissene Habre
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 A Dakar se déroule depuis juillet 2015 le procès de Hissène Habré, ancien président du Tchad de 1982 à 1990, accusé de crimes contre l’humanité, crimes de guerre et tortures. Après sa fuite au Sénégal, des victimes de son régime ont engagé des poursuites pour le traduire en justice, menant à la création d’un tribunal spécial au Sénégal avec l’Union africaine. La semaine dernière, Souleymane Guengueng, fondateur de l’Association des Victimes de Crimes du Régime de Hissène Habré (AVCRHH), a témoigné devant les juges. Il revient sur son passage à la barre.

Ce n’est pas tous les jours que l’on tient une promesse, et celle-ci datait d’il y a plus de 25 ans, faite au fin fond d’une cellule des geôles funestes du régime de Hissène Habré. J’avais juré devant Dieu que si je sortais vivant de cet enfer, je me battrais pour qu’on rende justice à tous ces prisonniers enfermés sans procès dans des prisons inhumaines où beaucoup y ont laissé la vie. J’attendais ce jour depuis 25 ans, et ce 18 novembre 2015 j’ai pu apporter ma dernière contribution en racontant dans un tribunal les horreurs que mes codétenus et moi avions subies. Avant de rentrer dans la salle d’audience du procès de l’ancien dictateur du Tchad, Hissène Habré, mon esprit était prêt et j’étais sans peur, sans haine, simplement heureux d’en être arrivé là. C’était un jour très particulier. Je me suis senti plus grand et plus fort devant ces juges qui m’écoutaient.

Traité comme un objet

Ce jour, j’ai récupéré quelque chose qui m’avait été pris lorsque j’étais enfermé et traité comme un objet dans les prisons tchadiennes en 1988 : ma valeur d’homme dans sa totalité. Malgré ma libération deux ans plus tard, je continuais à me sentir comme rabaissé par rapport à ces tortionnaires qui m’avaient fait souffert, comme étouffé devant l’impossibilité de me faire entendre devant un juge. Tout cela est maintenant derrière moi. Ceux qui ont vu mon témoignage ont pu saisir la force qui m’habitait à la barre lorsque je livrais mon histoire. L’émotion m’a également traversée, et j’ai fondu en larmes, au moment où la défense m’a questionné sur le fait que j’étais obligé de retirer moi-même les excréments du ventre d’un collègue torturé, Togoto Samuel. Avec lui, nous avons été deux de ceux qui ont commencé à lutter pour la justice et déposé la première plainte en 2000. Lorsque l’on m’a interrogé à son sujet, je me suis souvenu comment nous avions milité ensemble. C’est d’ailleurs lui qui, des années plus tard, nous a parlé des procès de Milosevic et Pinochet. Cela nous a encouragé et donné espoir que notre travail de recensement des victimes pouvait servir pour le procès de notre ancien chef d’Etat. Mais Samuel est mort en 2002, sans pouvoir assister à l’aboutissement de cette lutte. C’est une situation qui m’a fait très mal, en pensant aussi à d’autres anciens détenus engagés comme Sabadet Totodet et Ismaël Hachim qui espéraient avoir cette justice. Mais Dieu les a rappelés sans qu’ils arrivent à ce jour. Je me sens maintenant léger et fier, plus valeureux que l’ex-dictateur qui reste assis sans répondre ni croiser le regard de ceux qui l’accusent à quelques mètres de lui. Je ne suis pas étonné par le silence de Habré. Il a tellement menti, fait croire aux Sénégalais qu’il était un musulman pieux et qu’il avait bien gouverné le Tchad. Pour ne pas décevoir tout ce monde, il a préféré opter pour le mutisme afin que ses soutiens continuent de croire en lui. C’est la honte qui le contraint à se taire, et il prend le risque de se faire condamner sans jamais s’exprimer afin de conforter l’idée qu’il est une victime dans cette histoire. Qu’il parle ou non, le droit sera dit.

 

Rendre des comptes

 

Habré n’était pourtant pas muet au premier jour du procès ,le 7 septembre. Il s’était écrié « A bas l’impérialisme ! » mais il avait alors oublié que c’était lui le « valet de l’impérialisme ». Il est arrivé au pouvoir et a gouverné avec l’appui des Etats-Unis et de la France. J’aurais aimé lui demander pourquoi il m’a fait tout ce mal, pourquoi toute cette haine envers ses concitoyens. Lorsqu’un citoyen a commis une infraction, on doit l’arrêter et le juger, non pas le faire souffrir voire le tuer sans aucun jugement, même celui qui est accusé d’avoir trahi l’Etat. La Direction de la Documentation et de la Sécurité, la police politique de Habré, était une véritable institution hors-la-loi.Si j’ai un message à transmettre, je dirais que les chefs d’Etat africains doivent changer de vision sur leur pouvoir : ils ne doivent plus penser qu’ils le reçoivent des pays occidentaux ni se considérer au-dessus de leurs concitoyens. Ils doivent au contraire reposer leur pouvoir sur leur peuple qui, s’il est satisfait, assurera leur protection. Pour les chefs qui mépriseraient leurs citoyens, l’existence de ce procès démontre qu’il est possible pour chacun de s’organiser et mener le combat pour que ces dictateurs, qui sont des êtres humains comme vous et moi, rendent des comptes devant la justice.