Le président congolais Joseph Kabila a annoncé dans la nuit de lundi à mardi, quelques heures avant la fin de son mandat, un nouveau gouvernement sans attendre les résultats de la médiation de l'Église catholique visant à sortir la République démocratique du Congo de la crise politique.
La nouvelle est tombée à la télévision publique peu avant minuit (23h00 GMT). Après cette annonce, des tirs d'armes à feu ont été entendus par des journalistes de l'AFP dans deux quartiers du nord de Kinshasa. Leur origine était difficile à déterminer.
Peu avant, plusieurs quartiers de la mégapole congolaise, transformée en ville morte lundi, avait résonné de concerts de sifflets et de tambours improvisés avec des casseroles, symboles du "carton rouge" qu'une coalition d'opposition a menacé d'infliger à M. Kabila, au pouvoir depuis 2001.
Les détracteurs de M. Kabila l'accusent d'avoir torpillé le processus électoral et de vouloir instaurer une présidence à vie.
La présidentielle qui devait avoir lieu cette année a été reportée sine die.
Âgé de 45 ans, M. Kabila, à qui la Constitution interdit de se représenter, entend se maintenir en fonction dans l'attente de l'élection d'un successeur, en vertu d'un arrêt de la Cour constitutionnelle rendu en mai.
La formation du gouvernement est le fruit d'un accord conclu en octobre entre la majorité et une frange minoritaire de l'opposition, rejeté par la coalition du Rassemblement constituée autour de la figure de l'opposant historique Étienne Tshisekedi, 84 ans.
Le nouveau cabinet est dirigé par un transfuge du parti de M. Tshisekedi (l'UDPS), Samy Badibanga, et fait entrer plusieurs ministres d'opposition ayant joué comme lui le jeu du "dialogue national" proposé par M. Kabila.
Le 8 décembre, la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) avait lancé une médiation de la dernière chance pour réconcilier les partisans de l'accord d'octobre et ses détracteurs, afin d'ouvrir la voie à une période de transition politique jusqu'aux élections.
En l'absence de la moindre avancée significative, les évêques avaient suspendu leur médiation samedi soir et annoncé une reprise des négociations pour mercredi.
- Villes mortes -
Sous pression de la communauté internationale, qui a exhorté tous les acteurs politiques congolais à faire preuve de "responsabilité", le Rassemblement avait renoncé à mettre a exécution ses menaces d'appel à manifester contre M. Kabila à compter de lundi et jusqu'à sa chute.
Alors que toutes les grandes villes congolaises étaient placées sous étroite surveillance policière et militaire, le conseiller diplomatique du président Kabila, Barnabé Kikaya Bin Karubi, avait déclaré lundi après-midi : "Je ne vois pas (M. Kabila) céder à une pression quelconque" sinon à celle du peuple, ajoutant : "La population congolaise ne fait pas pression sur le président Kabila".
A Kinshasa, bouillonnante mégapole de 10 millions d'habitants, la population a jugé prudent, lundi, de rester massivement chez elle : la plupart des commerces sont restés fermés et les rues désertes ou presque.
Les principales villes du pays - Lubumbashi (sud-est), Kisangani (nord-est), Mbuji-Mayi (centre) - ont également tourné au ralenti.
Depuis 2011, date de la réélection de M. Kabila à l'issue d'un scrutin entaché de fraudes massives, plusieurs centaines de personnes ont été tuées dans des violences urbaines à caractère politique à Kinshasa ou ailleurs. Les dernières en date ont fait une cinquantaine de morts en septembre.
Le Bureau conjoint de l'ONU aux droits de l'Homme en RDC a recensé 74 arrestations dans le pays lundi alors que la police avait indiqué qu'elle ne tolérerait aucun rassemblement de plus de dix personnes.
Un journaliste et un collaborateur de l'AFP, tous deux de nationalité congolaise, ont également été arrêtés dans la matinée à l'université de Kinshasa, où régnait une situation confuse entre étudiants et forces de l'ordre. Ils ont été libérés dix heures plus tard.
Craignant que la RDC, État-continent de 70 millions d'habitants ravagé par deux guerres entre 1996 et 2003, ne replonge dans une spirale de violence, la communauté internationale multiplie les appels au calme depuis des semaines.
A Butembo, dans l'est du pays déchiré par des conflits armés depuis plus de vingt ans, treize personnes, dont un Casque bleu sud-africain, ont été tuées lundi matin dans des affrontements entre forces de l'ordre et une milice locale, selon un bilan donné par le commandant de la police locale.
A travers le pays, les réseaux sociaux ont été totalement ou partiellement bloqués - selon les opérateurs - depuis dimanche minuit sur ordre des autorités.