Tunisie : Haythem El Mekki, blogueur de la révolution se raconte

Tunisie : Haythem El Mekki, blogueur de la révolution se raconte©DR
Haythem El Mekki
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 Haythem El Mekki fait partie des blogueurs qui ont commencé dès le printemps 2010 à contester la censure imposée par Ben Ali sur la toile. Converti aujourd’hui au journalisme satirique, il revient sur le rôle qu’il a joué sur les réseaux sociaux avec ses amis pendant la révolution de janvier 2011. A travers son portrait se dessine celui d’une communauté.

 Même si à l’origine c’est la rue, qui a fait tomber le régime de Ben Ali, même si la révolution tunisienne a émergé par le « bas », sans leadership, ni idéologie, une partie de l’histoire de cette révolution s’est écrite sur le mur virtuel des réseaux sociaux. Pratiquement, deux millions d’Internautes disposent d’un compte Facebook à la veille du 17 décembre 2010, lorsque Mohamed Bouazizi, un jeune vendeur ambulant vivant dans une insurmontable précarité s’immole par le feu à Sidi Bouzid, dans le centre-ouest du pays. Haythem El Mekki, fait partie de la communauté de jeunes cyberdissidents tunisiens, très actifs dans les actions de mise en circulation des vidéos des manifestations et des images des exactions policières, qui se multiplient dans le pays du premier « printemps arabe » à la suite du décès de Bouazizi. Les blogueurs contribuent ainsi, en cassant le black out médiatique imposé par le régime, à doubler l’échelle de la contestation dans tout le pays. Ce qui allait faire voler la peur du pouvoir en éclat…jusqu’au départ précipité de l’ex président en Arabie Saoudite, le 14 janvier 2011.

« Les mouvements politico-sociaux de décembre 2010 nous ont convaincus, mes amis et moi, qu’une brèche s’était enfin ouverte dans un mur de fer. Une occasion à ne pas rater : il fallait utiliser tout notre savoir-faire pour l’élargir au maximum », témoigne Haythem El Mekki, l’ex blogueur converti après la révolution au journalisme satirique sur une radio privée, Mosaïque FM.

Son parcours raconte toute l’importance du rôle joué pendant les 29 jours de révolution- du 17 décembre au 14 janvier- par un groupe de jeunes tunisiens, passionnés de technologie de l'information, urbains, instruits, au départ apolitiques, bien que révoltés contre la censure officielle sur le Web.

 

Internaute de la première heure

Haythem El Mekki vient de l’univers du web marketing. Né en 1982, il entre, très tôt, de plain pied dans l’univers fabuleux de la révolution numérique, qui lui offre des possibilités sans précédent. Il s’inscrit dans cette génération, qui pour paraphraser Michel Serres dans son livre « Petite Poussette » : « vit dans l’ordinateur ». Le jeune homme se rappelle : « En 1997, lorsque j’ai commencé à fréquenter les cyber cafés, je faisais partie des early adopters, les usagers de la toile de la première heure en Tunisie ». Comme le veulent l’usage et les codes du chat de l’époque, il adopte le pseudonyme ByLasKo pour échanger sur les forums de débat. Il co fonde, lui même en 2002 le forum Mac 125, une des plateformes de discussion les plus populaires en Tunisie, en ce début des années 2000, où la politique restait encore en dehors de ses sujets de chat et de ses préoccupations profondes.

Avec l’ouverture de son compte Facebook en 2008, il affiche son nom sortant de l’anonymat de la période antérieure. Le soulèvement du bassin minier de Gafsa, au cours de la même année- une révolte jaillie d’un mouvement de contestation des résultats d’un concours d’embauche à la compagnie locale de phosphate- le pousse à s’impliquer beaucoup plus dans le débat public, « mais toujours selon une expression de soi, libre et quasi élémentaire. Je ne me considérais pas encore comme un cyberdissident », souligne-t-il.

En mars 2010, la censure officielle s’abat de tout son poids sur le Net. Le régime finit par décapiter les dernières plateformes de vidéo blogguing, dont Dailymotion. Chose qui va sortir de l’ombre du monde virtuel un noyau dynamique de jeunes blogueurs, dont Haythem El Mekki fait partie.

« L’accès à l’information et à la liberté d’expression deviennent notre vrai cheval de bataille », explique Haytham El Mekki.

 

Les policiers de Ben Ali ne comprennent rien à Facebook

Une campagne contre l’avatar de la censure sur le Net, Ammar 404, un personnage, symbolisant la rétention de l’information, crée dans un esprit d’humour et de dérision par les jeunes internautes, est organisée sur la toile. Y prennent part les figures du blogguing tunisien, dont les résaux s’étendent désormais à l’international : Lina Ben Mhenni, Slim Amamou, Aziz Amami, Amira Yahiaoui, Malek Khadraoui, Yacine Ayari, Lilia Weslaty, Haythem El Mekki... La campagne est suivie, le 22 mai 2010, par un flash mob (manifestation express) au centre ville de Tunis monté par le duo Aziz Amamou et Yacine Ayar, intitulé, « Nhar ala Ammar » (Sale journée pour Ammar). Manifestation annoncée au préalable auprès des services concernés du ministère de l’Intérieur, dont les agents ne croyaient pas leurs yeux à la réception d’une requête d’action publique contre la censure dans une ville quadrillée par la police et par les indicateurs du parti-Etat !

« Interceptés et interrogés par la police, mes amis se sont rendus compte à la question récurrente des agents : « bon sang qui est derrière cette action ? », que le ministère de l’Intérieur n’a encore pas saisi l’horizontalité dans le fonctionnement des réseaux sociaux », se souvient Haythem El Mekki.

Mais déjà, rien ne semblait freiner le ras le bol des jeunes vis-à-vis d’un système plus qu’autoritaire dont les verrous commençaient à lâcher face au pouvoir des nouvelles technologies de l’information et de la communication.

 

Mission : relayer les gestes de la révolution

Les événements se précipitent lorsqu’une révolte éclate le 17 décembre 2010 dans une des régions les plus pauvres du territoire, Sidi Bouzid. Bien que dans cette partie du pays, les jeunes soient moins connectés que dans les villes côtières, le rayon de la contestation s’élargira au fil des jours…

Haythem El Mekki et ses compagnons décident alors d’utiliser contre le pouvoir les armes qu’ils maitrisent le mieux : relayer sur les réseaux sociaux les faits, paroles, slogans et gestes des manifestants de Kasserine, à Tala et de Sfax à Tunis, généralement tournés par le simple moyen des téléphones portables. Informations qu’ils recueillent parfois eux-mêmes, à la source, en se déplaçant, comme Lina Ben Mhenni ou Sofiène Chourabi, dans les zones agitées par les mobilisations contre la dictature. Ils s’évertuent également à partager des photos et des articles de presse sur les évènements tunisiens, à traduire des reportages, à contrer la propagande officielle et ses tentatives de désinformation, à alerter les médias et les journalistes étrangers.

« Nous lancions également des appels à manifester et à adhérer aux mouvements de contestation. Notre modus operandi s’inspirait de ce que nous appelions, l’actocratie, traduisible par la philosophie de l’acte qui décide : celui qui fait le premier geste ou écrit le premier post annonce la couleur. Et se voit suivi, aspect viral des réseaux sociaux exige, par des milliers de personnes», ajoute l’actuel chroniqueur sur Mosaïque FM.

Le 6 janvier 2011, Haythem El Mekki échappe de prés à la rafle policière qui vise les blogueurs. Il en profite pour poursuivre la bataille. Or, jamais au grand jamais il n’aurait pu imaginer à ce moment là que Ben Ali allait partir, ni prononcer son ultime discours du 13 janvier où il promettait : « la pleine et entière liberté pour la presse, le libre accès aux sites Internet …».

« J’ai commencé à pressentir la fin du régime au moment où ce tentaculaire quartier de la marge, la Cité Ettadhamen, un véritable « ghetto » situé à quelques kilomètres de la capitale, s’est soulevé le 11 janvier 2011. J’ai senti que mes doutes étaient plutôt bien fondés lorsqu’ébahi j’ai assisté au spectacle de milliers de Tunisiens, qui après le discours de Ben Ali, le soir du 13 janvier lui demandaient, sur Facebook, à visage découvert en déclinant leur identité complète de…partir ! ».

 

Un discours décalé, qui tire sur tout ce qui bouge

Six ans après la chute du régime de l’ex président, Haythem El Mekki estime qu’il a préservé son indépendance vis-à-vis des groupes de pression, ainsi que sa liberté de pensée même s’il présente chaque jour une revue de presse satirique intitulée, « A la Une », sur une radio privée mainstream. Suivi par un très large public étonnamment hétéroclite, il fait partie des faiseurs d’opinion les plus influents de cette Tunisie en transition, très souvent en manque de repères. D’autre part, près de 500 000 personnes le suivent sur son compte Twitter.

Bizarrement Haythem El Mekki trouve le ton à suivre et le personnage à incarner dans sa rubrique radiophonique, le 30 décembre 2010. Il est invité alors à participer à une émission sur la chaine privée  Nessma TV intitulée « Spécial Sidi Bouzid ». L’émission était destinée à l’origine à communiquer sur la bonne foi du régime et sur sa capacité d’être à l’écoute des critiques et de la voix du peuple. Le jeune blogueur, n’est pas impressionné par le ton plutôt lisse de l’émission et va jusqu’au bout de ses idées. Il lâche : « Sayboulna Internet ! » (Libérez-nous Internet) et décrit les pratiques liberticides du pouvoir pour censurer la toile. Son intervention est vivement saluée, y compris par ses amis cyberdissidents, dont il craignait les réactions et les critiques. Ce soir-là, Haythem El Mekki saisit le style à adopter dans un média grand public. Une sorte d’ironie mordante croisée à un parler vrai inspiré du rap- sa culture profonde- ajouté à une touche de provocation. A la manière du Français Yann Barthès et de l’Egyptien Bassem Youssef. Tout cela baigné dans une sincérité à fleur de langage, un discours qui tire sur tout ce qui bouge. Le traitement est frais, totalement décalé dans une ambiance dominée par la propagande et la langue de bois.

« Aujourd’hui si tout le monde bénéficie de la liberté d’expression, rarissimes sont ceux qui ne l’expriment pas selon les règles établies, les règles de l’establishment », soutient-il.

 

« Les pressions restent gérables et surmontables »

Pourtant, le politiquement correct le prend parfois de cours dans le traitement des questions liées en particulier au terrorisme ou aux mobilisations sociales. Probablement sous l’influence des discussions avec le trio de journalistes qui l’accompagne au quotidien…

Il se défend : « Personne ne m’impose quoi que se soit. Les pressions à la radio restent gérables et surmontables et en tout cas incomparables avec celles qui existent dans les télévisions dans les quelles j’ai fait des passages, Nessma TV, La Nationale 1, Attassia TV, Al Hiwar, Telvza TV »

Il ajoute encore : « Dans l’actualité liée au terrorisme, je prône la retenue, le professionnalisme, la prudence. Je me réfère souvent à des spécialistes en déontologie pour aborder mes sujets. Aujourd’hui, ce n’est plus le pouvoir qui fait peur mais plutôt l’hystérie et le despotisme des foules, qui se lâchent souvent sur les réseaux sociaux pour vous attaquer, vous insulter, vous diffamer ».

Haythem El Mekki ne fait pas partie des blogueurs de la révolution dominés par le sentiment de nostalgie de ces jours d’union sacrée entre cyberdissidents, que les choix politiques, mais également les égos surdimensionnés de certains, ont fini par diviser. Avancer est son unique devise : « Je veux faire du journalisme pur et dur, partir sur des enquêtes et sur des reportages de terrain. C’est ce qui me fait rêver aujourd’hui. Je ne veux plus être pris pour un humoriste ! ».