Alors que le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) doit officiellement fermer ses portes le mardi 1er décembre, 9 des 93 personnes qu'il en a mises en accusation sont encore en fuite, dont l'homme d'affaires Félicien Kabuga, présenté par le procureur comme l'argentier du génocide des Tutsis de 1994.
Le bureau du procureur au TPIR a souvent affirmé que le financier présumé du génocide se cachait au Kenya, à six heures de route du siège du tribunal, à Arusha, dans le nord de la Tanzanie.
D'autres sources pensent cependant que ce fils des montagnes de Byumba (nord), né en 1935, serait aujourd'hui décédé.
Accusé notamment d'avoir commandé les machettes utilisées pour tuer les Tutsis en 1994 au Rwanda, Kabuga, d'abord petit marchand ambulant, est parti de rien pour devenir l'homme le plus riche de son pays, en son temps.
Sa réussite était telle que, dans les villages du Rwanda profond, un paysan plus aisé que les autres était surnommé Kabuga.
Pour expliquer l'extraordinaire ascension de cet homme non instruit, une légende répandue au Rwanda prétend que l'homme d'affaires, animiste reconnu, doit sa richesse aux esprits de ses ancêtres auxquels il vouait un culte régulier. Toujours selon ce conte « des mille collines », même si Kabuga possédait les meilleurs immeubles modernes du pays, il dormait, conformément aux ordres de ses mânes, à même la terre battue, dans une hutte au toit de chaume.
Alors que, de son temps, les hommes d'affaires non instruits affichaient un certain mépris pour l'élite universitaire, Kabuga quant à lui, tenait à s'approcher des milieux intellectuels, s'entourant de personnes hautement qualifiées et nouant de solides amitiés dans les plus hautes sphères de l'administration
Son entrée dans le sérail fut définitivement scellée lorsqu'en 1993 une de ses filles épousa le fils aîné du président Juvénal Habyarimana.
Membre du parti présidentiel, le Mouvement républicain national pour la démocratie et le développement (MRND), il était par ailleurs président du Comité d'initiative de la tristement célèbre Radio - télévision libre des mille collines (RTLM) qui distillait des appels à la haine ethnique.
Pendant le génocide, il fut désigné président du Comité provisoire du Fonds de défense nationale (FDN).
En juin 1994, à la veille de la débâcle de l'armée régulière face aux rebelles du Front patriotique rwandais (FPR), le milliardaire se réfugia en Suisse. Après avoir reçu l'ordre de quitter le pays, il rejoignit Kinshasa, en République démocratique du Congo (RDC), avant de s'installer au Kenya.
« Gros poissons »
Sur la liste des fugitifs du TPIR, figure également l'ex-ministre de la Défense, Augustin Bizimana, également membre du MRND, le parti de l'ex-président hutu Juvénal Habyarimana dont l'assassinat le 6 avril 1994 avait déclenché le génocide.
Accusé d'avoir participé à la préparation du génocide au plus haut niveau, Bizimana, un ingénieur agronome de formation, se cacherait dans l'est de la République démocratique du Congo (RDC), selon plusieurs sources au TPIR. Des sources proches de l'ancien régime affirment cependant qu'il est décédé au Congo-Brazzaville.
Le troisième haut responsable encore recherché par le TPIR est le major Protais Mpiranya qui commandait la garde du président Habyarimana. Cette unité militaire d'élite a été la plus active dans les massacres. Mpiranya, longtemps membre du commandement des rebelles hutus rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR) basées en RDC, serait protégé, selon le TPIR, par de hauts responsables zimbabwéens, alors que d'autres sources le donnent pour mort.
Kabuga, Bizimana et Mpiranya sont, de l'avis du procureur du TPIR Hassan Bubacar Jallow, « de gros poissons » qui devront, s'ils sont arrêtés un jour, comparaître devant la justice internationale, en l'occurrence devant le Mécanisme des Nations unies pour les Tribunaux pénaux internationaux (MTPI) chargé des fonctions résiduelles du TPIR.
A la demande de Jallow, des « dépositions spéciales » ont été entendues par le TPIR en 2011 et 2012 dans les trois affaires pour tenter de préserver les éléments de preuve en vue d'éventuels procès ultérieurs.
Les dossiers des six autres inculpés en fuite ont été confiés à la justice rwandaise. Il s'agit du lieutenant-colonel Phénéas Munyarugarama, des anciens maires Charles Sikubwabo, Ladislas Ntaganzwa et Aloys Ndimbati, de l'ex-inspecteur de police judiciaire (IPJ) Fulgence Kayishema et d'un ancien restaurateur, Charles Ryandikayo. Les six se cacheraient en RDC, selon le TPIR. Il appartient au Rwanda, avec l'aide du MTPI, de les localiser, les faire arrêter pour enfin les juger.