Vers un premier procès sur le territoire européen contre le régime du président syrien Bachar El-Assad ? L’espoir est permis après la réception officielle par le procureur général espagnol, Javier Zaragoza, d’une plainte déposée par une femme d’origine syrienne.
Cette Hispano-syrienne accuse des agents des services de sécurité syriens d’avoir torturé à mort son frère près de Damas. «Il s’agit d’une première, à savoir la dénonciation devant une instance judiciaire d’un présumé délit de terrorisme d’Etat commis par l’actuelle administration syrienne », écrit François Musseau, le correspondant de JusticeInfo à Madrid.
Les premières pièces à charge dans ce dossier ouvert devant la justice espagnole ont été fournies par un membre des services secrets syriens, bénéficiant lui aussi de mesures de sécurité spéciales dans un pays européen. Il a réussi à fuir son pays en possession de quelque 55 000 clichés représentant notamment 6700 corps décharnés et portant les stigmates de tortures. « Ces documents sont fondamentaux pour l’identification par les parents de victimes de présumés tortionnaires. Et pour avérer l’existence d’un système répressif d’une terrible brutalité», ajoute François Musseau.
Réconcilier les Gambiens
Si la Syrie a du mal à se libérer de la coupe du Bacher-El-Assad, la Gambie, sur le continent africain, peut souffler après le départ en exil le mois dernier de son ancien marabout-président Yahya Jammeh. Mais ici aussi se pose la question de la justice pour les victimes des nombreux crimes commis sous le régime l’ex-dictateur aujourd’hui confortablement installé en Guinée Equatoriale. Le nouveau président Adama Barrow pourra-t-il traduire son prédécesseur en justice ? « Probablement pas lui, ni l’Etat gambien sous son bref mandat. La mission de l’actuelle administration est une transition enfermée dans un délai de trois ans », explique Maxime Domegni, correspondant de JusticeInfo pour l’Afrique de l’Ouest.
« Par contre, le régime promet initier un processus de justice transitionnelle », ajoute le correspondant. Il s’agit, dans ce contexte, d’un ensemble de mécanismes visant à la manifestation de la vérité, en vue de panser les plaies laissées par la dictature de Jammeh, surmonter les tensions entre favorisés et défavorisés d’hier, apaiser les haines entre bourreaux et victimes, dans le but ultime de réconcilier les Gambiens qui peuvent aujourd’hui rêver de démocratie après 22 ans de dictature féroce.
Si cette définition de la justice transitionnelle, telle qu’elle était encore comprise il y a une dizaine d’années, peut s’appliquer au contexte actuel de la Gambie, force est de constater aujourd’hui, que le concept a beaucoup changé, au gré de la marche de l’Histoire, comme l’analyse Pierre Hazan, conseiller éditorial de JusticeInfo et professeur associé à l’Université de Neuchâtel.
Le nouvel enjeu de la justice transitionnelle
« A quelques exceptions près, dont la fragile démocratie tunisienne, la justice transitionnelle n’est plus là pour marquer le passage vers un Etat démocratique. Pourtant, la justice transitionnelle n’est pas devenue obsolète, même si elle a perdu sa raison d’être initiale. Les mécanismes de la justice transitionnelle sont devenus des rouages essentiels dans le processus de sortie de conflits », écrit Pierre Hazan, citant les exemples de la Colombie, de la Centrafrique et du Mali. Relevant que « la moitié des accords de paix ont une durée de vie inférieure à dix ans », il souligne « la nécessité de sortir de ce cercle vicieux en renforçant l’état de droit et la bonne gouvernance, et en marginalisant progressivement les seigneurs de guerre ». « C’est le nouvel enjeu de la justice transitionnelle et des outils qu’elle a utilisés ou forgés, tels les Commissions vérité et réconciliation, les tribunaux internationalisés, les programmes de réparation et les processus de filtrage des ex-combattants des groupes armés qui souhaitent rejoindre les forces de sécurité de l’Etat pour s’assurer qu’ils n’ont pas commis de crimes de guerre », ajoute l’universitaire.