Syrie: une base de données pour poursuivre les criminels de guerre

Syrie: une base de données pour poursuivre les criminels de guerre©Mohamad Abazeedafp
Daraa
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Scotchés à même la peau ou cachés dans des caisses de bananes, ils pourraient constituer un jour des preuves de crimes de guerre en Syrie: des milliers de documents rapportés par des citoyens au péril de leur vie vont être rassemblés dans une base de données par l'ONU.

Plus de 150 experts, diplomates, représentants d'ONG et procureurs nationaux se sont réunis jeudi à la Haye après la création en décembre du Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie (MIII) par l'Assemblée générale de l'ONU pour accompagner les enquêtes et poursuites contre les auteurs de crimes de guerre.

Selon le ministre néerlandais des Affaires étrangères, Bert Koenders, à l'initiative de cette réunion de travail sur la constitution de la base de données, des millions de pages et de giga-octets d'indices, ainsi que de nombreux témoignages récoltés par des enquêteurs, sont prêts à être rassemblés, analysés et compilés.

Ils pourraient permettre de bâtir de solides dossiers contre "les coupables des pires crimes imaginables" dans ce conflit qui a fait plus de 300.000 morts et provoqué l'exil de millions de personnes.

Ces documents ont été rapportés au compte-gouttes de Syrie par des "héros de la résistance", qui "savent que leurs actions ne sauveront pas une seule victime" mais qui sont "confiants que la justice l'emportera un jour", a-t-il poursuivi.

Un officier syrien de la police militaire a ainsi, d'après le ministre, fui le pays avec, cachées dans ses chaussettes, des clés USB renfermant 28.000 photos de personnes tuées lors de gardes à vue menées par le régime de Bachar al-Assad.

Un fonctionnaire s'est scotché un millier de pages sur le corps, des documents révélant l'ordre émis par la plus haute hiérarchie de faire un usage aveugle de la violence, tandis que des enquêteurs ont fait sortir clandestinement du pays, et à travers de nombreux barrages, des preuves de crimes de guerre dans des cageots de bananes, a-t-il rapporté.

- 'Plus de preuves que Nuremberg' -

"Ces six dernières années, la diplomatie internationale a déçu la population syrienne", a remarqué M. Koenders, en dénonçant "une culture de l'impunité".

La Russie, allié précieux du régime syrien de Bachar al-Assad, et la Chine ont bloqué en 2014 une demande du Conseil de sécurité visant à saisir la Cour pénale internationale (CPI) des crimes commis par les deux camps.

Or, "nous ne pouvons rester assis et attendre que la guerre prenne fin", a déclaré M. Koenders. Ce mécanisme, "c'est le moins que nous puissions faire".

Mais la mise en place du MIII a un coût, de l'ordre de "13 millions de dollars (...) pour la seule première année", a ajouté le ministre en appelant les représentants nationaux, experts et ONG à lui fournir contributions, aide et conseils.

Bert Koenders veut voir les responsables faire face à la justice à La Haye, siège de nombreuses instances judiciaires internationales dont la CPI, mais aussi dans tout pays où se trouvent désormais les combattants revenus du front syrien.

"Le mécanisme vous aidera à trouver, poursuivre et inculper ces personnes", a-t-il affirmé, s'adressant aux procureurs nationaux.

Véritables espoirs de justice, les indices de crimes de guerre traversent la frontière depuis les premières années du conflit syrien.

Un citoyen souhaitant conserver l'anonymat surnommé "César" avait ainsi emporté dans sa fuite 55.000 photographies effroyables de corps torturés, devenant un symbole de cette forme de résistance.

Son travail était de photographier les cadavres pour le ministère syrien de la Défense, avant et après la révolution. Sur les clichés, des blessures profondes, des traces de brûlure, d'étranglement, des corps extrêmement émaciés.

"Ils sont morts de faim, leurs corps ressemblaient à des squelettes", a-t-il raconté en 2014 devant la Chambre des représentants américaine. "Je n'avais jamais vu des corps dans un tel état (...) depuis les photos de ce qu'ont fait les Nazis".

Pour Stephen Rapp, ex-ambassadeur itinérant pour les Etats-Unis en charge des crimes de guerre cité par Bert Koenders, "quand le jour de la justice arrivera, nous aurons bien plus de preuves que ce que nous avons eu nulle part ailleurs depuis Nuremberg".