Au Mali, l’immense retard pris par l’installation des autorités intérimaires dans le Nord et le Centre du pays joue en faveur du djihadisme en recrudescence depuis quelques mois. Ces autorités transitoires devaient être mises en place dans les trois mois suivant la signature de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali. Mais deux ans après la signature de ce texte, gouvernement et groupes rebelles ne sont toujours pas parvenus à un compromis pour l’administration intérimaire de Tombouctou et Taoudéni. C’est dans ce contexte que le conseil des ministres a décidé le 18 mars de passer à une autre étape cruciale: la Conférence d’entente nationale. La rencontre, qui se tiendra à Bamako, s’ouvrira le 27 mars. Certains mouvements signataires dénoncent une certaine « précipitation » tandis que l’opposition refuse de se prêter à un exercice « folklorique ».
Selon l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali, la Conférence d’entente nationale est l’occasion d’approfondir le débat sur les causes du conflit et d’élaborer une charte pour la paix, l’unité et la réconciliation nationale sur une base consensuelle. Le conseil des ministres a fixé les dates de ce rendez-vous qui se veut largement inclusif après avoir entendu une communication du président de la Commission préparatoire. Selon le communiqué de ce conseil des ministres, la commission préparatoire a notamment rencontré, en amont, les signataires de l’Accord de paix, les responsables des institutions de la République, les anciens Premiers ministres, les organisations et associations confessionnelles, les partis politiques, les organisations syndicales, les notabilités et la diaspora. « Ces consultations ont révélé une large adhésion des forces vives de la nation à la tenue de la Conférence d’entente nationale » ajoute le texte.
Mais force est de constater que cette rencontre, qui constitue une autre étape essentielle de la mise en œuvre de l’accord d’Alger, est convoquée sur fond de blocage du processus de mise en place des autorités intérimaires à Tombouctou et à Taoudéni.
Fragmentation de la CMA
Fruit de laborieuses négociations, cet accord censé ramener la paix dans la partie septentrionale du Mali, a été signé en mai - juin 2015 par le gouvernement et les groupes armés de la Plateforme, qui lui sont favorables, ainsi que par la Coordination des mouvements de l’Awazad (CMA), une coalition de mouvements rebelles touareg et arabes. Mais, depuis lors, Plateforme et CMA n’ont cessé de s’accuser mutuellement d’actes de provocation ayant fait plusieurs morts et entraîné plusieurs reports de la mise en place des institutions intérimaires. La fragmentation ou l’atomisation de la CMA - qui est loin de contrôler tous ses membres ou de prétendre en tout temps être leur porte-voix – est aussi venue rajouter aux complications. C’est le cas actuellement dans les villes septentrionales de Tombouctou et Touadéni alors que dans les autres régions concernées les assemblées régionales ont pu être installées. A Tombouctou et Touadéni, le Congrès pour la justice dans l’Azawad (CJA), un groupe qui n’avait pu participer aux négociations d’Alger, tente aujourd’hui de faire valoir son droit au partage du gâteau. Ainsi pour Hamata Ag Almehidy, un des porte-parole de cette milice, les conditions ne sont pas encore réunies pour la tenue de la Conférence d’entente nationale. « Des personnes sont là, dans leurs régions et réclament leur inclusion, conformément au caractère inclusif de l'accord, dans les organes de mise en œuvre, dans les décisions politiques de leurs régions en commençant d'abord par leur implication dans les autorités intérimaires et dans tout ce qui est censé gérer leurs régions », explique-t-il dans un entretien avec Studio Tamani.
De son côté, la CMA, dénonce «l'impréparation et la précipitation » qui entourent l'organisation de cette rencontre. « La conférence d'entente nationale, ce n'est pas une petite affaire. On parlait de concertations régionales, je n'en ai pas vu à Kidal jusqu'ici, or Kidal est une pièce maîtresse dans le règlement du conflit de ce pays, parce que c'est dans la région de Kidal qu'il y a une sédimentation de problèmes, de griefs depuis l'indépendance jusqu'à maintenant », affirme un responsable de la CMA, Ambéry Ag Rissa, interrogé par Studio Tamani. Pour finir, il se dit « très sceptique » quant à l’issue de la conférence.
« L’opposition n’y sera pas »
L’opposition démocratique, pour sa part, n'accorde pas même pas le bénéfice du doute à cette rencontre. « Tout cela me semble un peu superficiel, voir trop folklorique. L'opposition a fait des demandes particulières qui n'ont pas été prises en considération. Donc, l'opposition n'y sera pas », affirme Boubacar Karamoko Coulibay, vice-président de l’Union pour la République et la démocratie (URD). «Il faut qu'on arrête cela. Il y a des problèmes sérieux. Personne n'est en sécurité. La sécurité n'existe nulle part. Il y a des problèmes de gouvernance, les Maliens ont faim, rien ne va », ajoute le dirigeant de l’opposition.
Proche du gouvernement, la Plateforme n’a bien-sûr pas le ton aussi dur. « C'est le moment pour chaque partie de comprendre que le Mali est un et indivisible. La conférence d'entente nationale est un point de l'accord, c'est une conférence qui permet de clarifier, c'est une conférence qui permet de montrer que oui, il y a eu un accord, un accord pour la paix et la réconciliation», affirme Firoun Maiga, un des leaders de la Plateforme.
Une position proche de celle de la société civile qui invite les parties signataires à saisir cette occasion pour aller de l’avant dans la mise en ouvre de l’Accord d’Alger. « Les différentes parties, la CMA, la Plateforme et le gouvernement, doivent s'entendre davantage parce que c'est eux les parties prenantes. L’État doit tout mettre en œuvre pour que ces deux groupes puissent s'entendre davantage », a indiqué à Studio Tamani, Badra Alou Sacko, secrétaire général du Forum des organisations de la société civile.