La Turquie a commencé à voter dimanche pour ou contre le renforcement des pouvoirs du président Recep Tayyip Erdogan, lors d'un référendum crucial dont l'issue pourrait remodeler le système politique du pays et redéfinir ses relations avec l'Occident.
Quelque 55,3 millions de Turcs sont appelés à se rendre aux urnes pour dire oui ou non à une révision constitutionnelle qui prévoit notamment la suppression du poste de Premier ministre au profit d'un hyperprésident qui concentrerait entre ses mains de vastes prérogatives.
S'il l'emporte, M. Erdogan, qui a échappé à une tentative de putsch il y a neuf mois, disposerait d'un pouvoir considérablement renforcé et pourrait en théorie rester président jusqu'en 2029.
"La Turquie prendra (dimanche) l'une des décisions les plus importantes de son histoire", a déclaré samedi M. Erdogan, au cours du dernier d'une très longue série de meetings de campagne pour le référendum dont le résultat s'annonce serré.
Le gouvernement présente cette réforme comme indispensable pour assurer la stabilité du pays et lui permettre d'affronter les défis sécuritaires et économiques. Mais l'opposition dénonce la dérive autoritaire d'un homme qu'elle accuse de chercher à museler toute voix critique, surtout depuis le putsch manqué.
Les bureaux de vote ont ouvert à 04h00 GMT à Diyarbakir et dans d'autres villes de l'est de la Turquie, a constaté un correspondant de l'AFP. Le scrutin débutera à 05h00 GMT dans l'ouest du pays, notamment à Istanbul et Ankara.
"Les résultats s'annoncent bons", a assuré samedi M. Erdogan. "Mais cela ne doit pas nous rendre léthargiques. Un oui fort sera une leçon donnée à l'Occident", a-t-il ajouté, après s'en être régulièrement pris à l'Union européenne pendant la campagne.
- Etat d'urgence -
M. Erdogan a notamment indiqué que la candidature de la Turquie à l'UE, au point mort depuis des années, serait mise "sur la table" après ce référendum. Il a aussi relancé le débat sur le rétablissement de la peine capitale, une ligne rouge pour Bruxelles.
Si le texte est approuvé, "il enclencherait la restructuration la plus drastique des 94 ans d'histoire de la politique turque et de son système de gouvernance", selon un rapport signé par Sinan Ekim et Kemal Kirisci, du think-tank Brookings Institution.
Pour Kemal Kiliçdaroglu, chef du CHP, le principal parti d'opposition, la Turquie a le choix : "Voulons-nous poursuivre avec une démocratie parlementaire ou un système de gouvernement par un seul homme ?", a-t-il déclaré samedi au cours d'un meeting près de la capitale, comparant le système présidentiel voulu par le gouvernement à "un bus sans freins dont on ne connaît pas la destination".
L'opposition et les ONG ont déploré ces dernières semaines une campagne inéquitable, avec une nette prédominance du oui dans les rues et les médias.
La Turquie est par ailleurs sous état d'urgence depuis le putsch manqué. Quelque 47.000 personnes ont été arrêtées et plus de 100.000 limogées ou suspendues.
Le parti prokurde HDP a ainsi dû faire campagne avec ses deux coprésidents et nombre de ses élus en prison, accusés de liens avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), classé "terroriste" par Ankara et ses alliés occidentaux.
- Menace 'terroriste' -
Les principales incertitudes pour M. Erdogan résident dans le vote des Kurdes, un cinquième de la population, et celui du camp de la droite nationaliste, dont le chef, Devlet Bahçeli, soutient la révision constitutionnelle, mais dont la base est divisée.
La sécurité occupe également une grande place dans l'organisation du scrutin, la Turquie ayant été frappée ces derniers mois par une vague sans précédent d'attaques meurtrières liées au groupe Etat islamique (EI) et à la rébellion kurde.
Selon l'agence Dogan samedi, 49 membres présumés de l'EI ont été arrêtés à Istanbul cette semaine. L'EI avait appelé dans le dernier numéro de son hebdomadaire Al-Naba à des attaques contre les bureaux de vote dimanche.
Quelque 33.600 policiers seront déployés à Istanbul pour assurer le bon déroulement du scrutin, selon l'agence de presse progouvernementale Anadolu.
Âgé de, 63 ans, M. Erdogan a occupé le poste de Premier ministre entre 2003 et 2014 avant d'être élu président.