A l’issue des élections du dimanche 11 juin, Ramsuh Haradinaj est le favori pour devenir Premier Ministre. Blanchi par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, il reste cependant accusé de crime de guerre par Belgrade. En janvier dernier, il avait été arrêté à l’aéroport de Bâle-Mulhouse à la demande de la Serbie, puis emprisonné avant que la justice française le relâche sans l’extrader vers Belgrade.
Ces élections ouvrent sans doute une période d’instabilité politique au Kosovo. Menée par Haradinaj, une coalition de partis issus de l’Armée de libération du Kosovo (UCK) est arrivée en tête (34.6% des voix), mais sans cependant remporter la majorité des sièges au Parlement. Cette coalition dit des « guerriers » est talonnée par la gauche nationaliste Vetëvendosje (« auto-détermination »), qui a fait sa campagne sur la lutte contre la corruption et prêche le rattachement à l’Albanie, et par la Ligue démocratique du Kosovo, héritière des indépendantistes « pacifistes » avec 25.8% des scrutins.
Ce vote intervient alors que la question des crimes de guerre commis lors du dernier conflit de 1998-1999 reste plus que jamais d’actualité. Les cours spéciales du Kosovo commencent leur travail d’enquête pour juger les criminels de guerre de ce conflit qui s’était soldée par l’exil provisoire d’un million d’Albanais du Kosovo chassés par les forces serbes, l’intervention militaire de l’OTAN, et la mort respectivement de quelques 10.800 Albanais du Kosovo et de 2.800 Serbes. En 2008, le Kosovo avait accédé à l’indépendance, mais celle-ci n’a jamais été reconnue par Belgrade, pour qui ce territoire reste partie intégrante de la Serbie.
Un contexte troublant
C’est dans ce contexte de tension permanente que depuis février dernier, le président du Kosovo, Hashim Thaci, lui-même ancien chef militaire de l’UCK a fait part de sa volonté de créer une Commission vérité et réconciliation (CVR) pour panser les blessures de la guerre de 1998-1999. « Le Kosovo ne peut pas construire un bel avenir s’il reste otage du passé », avait-il déclaré publiquement le 13 février dernier.
Depuis lors, les autorités ont fait circuler une version préliminaire des statuts de la future Commission vérité et réconciliation. Celle-ci vise à « promouvoir la vérité et la réconciliation, ainsi que la protection des droits de l’homme », est-il spécifié dans son article premier. Prévue pour durer 4 ans, le projet de CVR prévoit que la Commission travaillera sur « les violations sérieuses des droits de l’homme et du droit international humanitaire, y compris sur la récente guerre, en prenant en compte les vues de toutes les communautés au Kosovo ». La CVR se penchera donc sur les crimes commis pendant le dernier conflit, même si le projet de Commission ne mentionne aucune date précise. Il prévoit aussi de déférer au procureur général du Kosovo les auteurs de crimes.
Autant dire que le projet de Commission vérité et réconciliation a surpris nombre de défenseurs des droits de l’homme et d’ONG. Le contexte est troublant, puisque son annonce intervient au moment où les Cours spéciales du Kosovo commencent leur travail soit … d’enquêter sur les crimes commis lors du conflit de 1998-1999. Des crimes commis en particulier sur les Serbes, qui à l’époque, avaient moins focalisé l’attention de la communauté internationale que les crimes commis à l’encontre des Albanais. S’agit-il pour le président Thaci de créer un contre-feu face à un tribunal créé à la suite des accusations contenues dans le rapport de Dick Marty au Conseil de l’Europe ? Ce rapport mettait nommément en cause l’actuel président du Kosovo présenté comme présumé « parrain de la pègre albanaise » et accusé celui-ci et ses proches « d’avoir ordonné, et parfois personnellement veillé au bon déroulement d'un certain nombre d'assassinats (…) à l'occasion d'opérations menées par l’UÇK sur le territoire albanais, entre 1998 et 2000. »
A l’évidence, la future CVR aura fort à faire pour dissiper le scepticisme à son égard. Dans une société aussi clivée que celle du Kosovo, où sur le fond, rien n’a été réglé entre la minorité serbe et la majorité albanaise, ni du reste, entre Pristina et Belgrade, quelle vérité et quelle réconciliation pourrait bien produire une Commission vérité et réconciliation ? Quels commissaires pourraient représenter aux yeux des différentes communautés, à la fois, légitimité et impartialité ?
Devant le flou du projet de Commission, mais surtout devant les tensions persistantes entre les communautés au Kosovo et entre Pristina et Belgrade, une CVR paraît un pari bien osé. Dans le passé, en 2002, le président serbe, Kostunica, s’y était lui aussi risqué avant que cette Commission vérité en Serbie se dissolve sans avoir produit le moindre résultat. Alors que cherche au fond le président du Kosovo en voulant mettre sur pied une Commission vérité dans son pays ? Sans nul doute, il s’agit d’affirmer haut et fort l’indépendance du Kosovo, encore contestée par Belgrade et Moscou. Veut-il aussi, comme s’interroge Nora Ahmetaj, « sacrifier la paix à la justice ? », en ouvrant une brèche vers une future amnistie qui viendrait encore compliquer le travail des cours spéciales du Kosovo ?