Formidable et accablant révélateur de l’état d’esprit des gouvernements à l’égard de la justice internationale: il y a 20 ans, elle était investie d’un immense espoir, aujourd’hui, la justice internationale en est réduite à faire la quête auprès du public pour financer le Mécanisme d’enquête créé pourtant par l’Assemblée générale de l’ONU ( !) destiné à rassembler les preuves des crimes de guerre commis en Syrie.
Le récent article de notre correspondante à La Haye, Stéphanie Maupas, Appel à souscription pour que l'ONU ait les moyens de rendre justice en Syrie, dit avec force le profond trouble dans lequel se trouve la justice internationale et au-delà, la justice transitionnelle. Celle-ci avait été pensée, conceptualisée et intégrée à la vision des années 1990 qui, sous hégémonie d’alors la seule superpuissance américaine, rêvait d’une évolution des sociétés vers un modèle libéral ancré dans l’état de droit. Mais la fin de l’histoire qu’imaginait un best-seller de l’époque ne s’est pas produite. Le messie, portant sous le bras le projet de paix perpétuelle d’Emmanuel Kant, n’est pas prêt d’arriver. Et les outils forgés pour la justice transitionnelle sont désormais utilisés dans les opérations de maintien de la paix. C’est-à-dire dans des environnements infiniment plus dangereux et plus complexe que la fin d’un régime autoritaire remplacé par une démocratie (re)naissante comme en Argentine ou au Chili dans les années 1980, ou l’Afrique du Sud post-apartheid dans les années 1990.
Comment dès lors s’étonner si la Commission vérité du Mali peine à se mettre en place, alors que les groupes djihadistes frappent sur une grande partie du territoire ? Comment des Commission vérité peuvent-elles être efficaces dans des pays où la sécurité n’est plus assurée sur une large partie du territoire ?
Coopération africaine ? Vraiment ?
La Cour pénale internationale est-elle-même en profonde difficulté. Examinons l’une de ses rares victoires, ou du moins, présentée comme telle par son procureur, Fatou Bensouda, qui affirmait que la coopération des gouvernements centrafricains et ougandais et de l’Union africaine avaient permis à la CPI d’avoir mis la main sur l’un des chefs de la Lord’s Resistance Army (LRA), Dominic Ongwen, actuellement jugé à La Haye. Or, selon l’article d’Adam Branch Dominic Ongwen on Trial: The ICC’s African Dilemmas paru dans The International Journal of Transitional Justice, il s’avère qu’en fait de « coopération africaine », c’est un groupe armé formé par d’ex-Sélékas en Centrafrique, un groupe sur lequel enquête la CPI car suspecté d’être l’auteur de nombreux crimes de guerre ( !), qui a remis Ongwen aux forces américaines présentes en Centrafrique, et ce sont ces forces américaines qui l’ont par la suite transféré à la CPI !
Nous sommes bien loin de l’excellence de la coopération africaine, dont se félicitait la CPI, alors que le rôle des Etats-Unis et des ex-Sélékas – qui ont cherché à empocher les 5 millions de dollars de récompense pour attraper un des leaders de la LRA – sont passés sous silence ! Ce sont donc des paramètres purement politiques, impliquant un acteur qui n’est pas membre de la CPI, - les Etats-Unis -, et un groupe rebelle, dont l’ONU vient de dénoncer les exactions, qui ont conduit à l’arrestation et au procès de Dominic Ongwen à La Haye.
Dans ce monde où la Realpolitik utilise les armes du droit, faut-il encore s’étonner si les Etats votent un mécanisme d’enquête sur les crimes de guerre commis en Syrie, mais rechignent à le financer ? Cet écart entre le discours et les actes n’est que le symptôme d’une crise bien plus profonde. Celle de la remise en cause du droit international. A part quelques pays scandinaves et autres Suisses, qui peut donner des leçons ? Comment les gouvernements occidentaux peuvent-ils rester crédibles pour les pays du Sud en prêchant les vertus de la démocratie, de l’état de droit et de la justice, alors que les Etats-Unis vendent pour 110 milliards de dollars d’armement au régime obscurantiste d’Arabie Saoudite, dont les forces armées au Yémen sont visiblement peu soucieuses du respect des Conventions de Genève, et que l’Europe ferme ses frontières à des migrants et des réfugiés désespérés ?