Des avocats ont déposé plainte sur le bureau de la procureure Fatou Bensouda contre la colonisation israélienne, le blocus de Gaza et la guerre de l’été 2014. Ces représentants de 448 victimes et 42 organisations regrettent les lenteurs de la Cour et lui demandent d’ouvrir une enquête.
« C’est la première fois que la population s’adresse à la Cour », assure Gilles Devers en sortant de la Cour pénale internationale (CPI), ce mercredi 19 juillet. L’avocat du barreau de Lyon vient de déposer une plainte sur le bureau de la procureure Fatou Bensouda, pour la colonisation israélienne et le blocus de Gaza au nom de 448 victimes, et quarante-deux organisations. « Le peuple palestinien s’adresse à la justice », affirme l’avocat. La liste des plaignants reflète un large panel de la société civile, rassemblant syndicats professionnels (pharmaciens, pêcheurs, agriculteurs, ingénieurs, infirmiers, et autres), municipalités de la bande de Gaza, associations d’artistes et d’écrivains, organisations de prisonniers et quatre hôpitaux. Dans un copieux document de près de 200 pages, les plaignants demandent à la Cour d’ouvrir une enquête pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre résultant de la politique de colonisation israélienne, le blocus de la bande de Gaza et la guerre de l’été 2014. « Depuis deux ans, la Palestine fait l’objet d’un examen préliminaire » de la CPI (étape préalable à l’ouverture ou non d’une enquête), a expliqué l’avocat français, dont les clients sont essentiellement gazaouis. « A Gaza, nous pensons que deux ans c’est trop long ».
Huit ans de procédures
Ce n’est pas la première fois que la Cour est sollicitée. En janvier 2009, le ministre de la Justice de l’autorité palestinienne lui avait, une première fois, demandé d’enquêter sur les crimes commis depuis 2002. Quelques semaines avant la fin de son mandat, en avril 2012, et après trois ans de consultations, le procureur Luis Moreno Ocampo avait déclaré la Cour incompétente arguant que la Palestine n’avait pas le statut d’Etat, et renvoyé la question à l’Assemblée des Etats parties à la juridiction, ou à l’Assemblée générale des Nations unies. C’est cette dernière qui tranchera, donnant à la Palestine, au terme d’un vote mouvementé en novembre 2012, le statut d’ « Etat non membre » de l’Onu. Mais il faudra attendre l’opération israélienne Bordure Protectrice de l’été 2014, pour que le président Mahmoud Abbas envisage de ratifier le traité de la Cour. L’autorité palestinienne menace alors d’adhérer à la Cour si un calendrier précis du retrait israélien des territoires occupés n’est pas adopté par l’Onu. Faute d’avancée, la Palestine ratifie le traité le 2 janvier 2015 et saisit en outre la Cour pour les crimes de l’été 2014, ouvrant la voie à l’ouverture d’un examen préliminaire, auquel s’opposent immédiatement Tel Aviv et son allié américain, déniant à la Palestine tout statut étatique.Mais si avant d’adhérer à la Cour, Ramallah a obtenu l’aval de toutes les factions palestiniennes, Hamas compris, l’examen préliminaire s’enlise et la population civile a donc décidé de relancer l’offensive à La Haye.
Des faits établis
La plainte déposée par maître Devers pointe au premier chef la colonisation israélienne, en se basant sur des dizaines de rapports des Nations unies, depuis les origines de la crise jusqu’à aujourd’hui. « Les faits de colonisation, en particulier pour Jérusalem Est, ont été parfaitement établi par la documentation des Nations unies depuis 1967 », écrivent les plaignants. « Ces faits ne sont pas cachés, mais revendiqués par la puissance occupante », lit-on dans le document, qui cible non seulement la politique des gouvernements israéliens successifs, mais dénonce aussi la complicité de treize entreprises qui seraient impliquées dans la colonisation, comme Véolia environnement, Caterpillar, Riwal, le groupe Dexia, Volvo, Hewlett Packard, Motorola, etc. « L’objectif principal des responsables israéliens est d’acquérir le territoire palestinien par la force, en chassant la population palestinienne. L’expansion des colonies en Cisjordanie ou à Jérusalem Est, est un axe majeur de la politique israélienne », affirment les plaignants, qui ajoutent que le Conseil de sécurité a rappelé « avec insistance que la colonisation est un obstacle à la paix », et estiment donc que l’ouverture d’une enquête par la Cour « servira les intérêts de la justice ». Dans les mois prochains, les avocats comptent remettre à la Cour des arguments détaillés sur la situation de Jérusalem Est.
La plainte revient aussi sur les six semaines de guerre de l’été 2014, opposant les forces israéliennes au Hamas et produit des rapports détaillés sur les conséquences du blocus imposé à Gaza. Elle détaille aussi la liste des pêcheurs victimes de tirs israéliens. Pour maître Gilles Devers, dans le climat d’impunité actuel, la Cour, qui n’intervient que si un Etat n’a pas la volonté ou les moyens de tenir des procès, a toutes les raisons d’enquêter. « La Cour suprême israélienne répugne le droit international et a même rejeté l'opinion de 2004 de la Cour internationale de Justice concernant le mur »,lit-on dans la plainte. Du côté palestinien, « l’occupation militaire et le blocus rendent impossible la tenue d’un procès ».