Au moins 60 Rohingyas de Birmanie tentant de rejoindre le demi-million de réfugiés au Bangladesh voisin sont morts ou disparus en mer, a annoncé vendredi l'ONU, après avoir dénoncé un "cauchemar humanitaire", et la Birmanie est en accusation, 88 ONG parlant même de "crimes contre l'humanité".
"Ma femme et mes deux fils ont survécu. Mais j'ai perdu mes trois filles", explique entre deux pleurs Shona Miah, Rohingya de 32 ans qui espérait mettre sa famille à l'abri des violences qui ont débuté il y a un mois entre l'armée birmane et des rebelles musulmans rohingyas.
Au fur et à fur qu'ils sont découverts, les corps des naufragés sont rassemblés dans une école, non loin de la plage à Cox's Bazar, une ville devenue l'un des plus grands camps de réfugiés au monde. Ils sont posés à même le sol et recouverts de couvertures de fortune dépareillées, au milieu de leurs proches venus les identifier.
Vingt-trois cadavres ont été découverts et 40 passagers sont portés disparus et "présumés noyés", a annoncé vendredi l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) depuis Genève, faisant passer le bilan de 19 à plus de 60.
Selon l'OIM, il y avait 50 enfants à bord.
L'embarcation était partie mercredi soir d'un village côtier de l'Etat Rakhine, région épicentre des violences en Birmanie. Elle a coulé à quelques encablures de la terre ferme, victime de pluies de mousson torrentielles.
Ce drame rappelle que les Rohingyas, une minorité apatride d'un million de personnes installée en Birmanie, continuent d'affluer vers le Bangladesh, malgré les assurances de la Birmanie que les violences ont cessé et que de nombreux villages musulmans n'ont pas été incendiés.
- Crainte de choléra -
Ces propos n'ont visiblement pas convaincu 88 ONG internationales, dont Human Rights Watch (HRW), qui ont publié un communiqué commun vendredi dénonçant les "crimes contre l'humanité" commis en Birmanie contre la minorité musulmane Rohingya.
Ces ONG ont parallèlement demandé à l'Assemblée générale de l'ONU d'adopter une résolution sur la Birmanie et réclamé que le Conseil de sécurité étudie sérieusement l'imposition d'un embargo sur les armes contre les militaires birmans.
En attendant un hypothétique retour en Birmanie, ces réfugiés s'entassent dans les camps côté Bangladesh, où autorités et ONG sont débordées par la marée humaine. La police bangladaise a annoncé vendredi avoir empêché plus de 20.000 Rohingyas de franchir la frontière.
Et la Fédération internationale des Sociétés de la Croix-Rouge a dénoncé vendredi des risques sanitaires et d'épidémies, avec déjà des milliers de cas de diarrhées aiguës liées à des conditions d'hygiène désastreuses.
La Croix-Rouge internationale évoque, dans certains camps, la présence d'un seul WC pour plusieurs centaines de personnes, avec pour conséquences des excréments s'accumulant un peu partout.
Un lot de 900.000 doses de vaccin contre le choléra est en cours d'acheminement vers les camps, où les ONG internationales redoutent une épidémie.
La Croix-Rouge estime les besoins en eau pour le demi-million de personnes entassées dans des camps de fortune à 3,6 millions de litres par jour.
S'ajoute à cela le fait que ces réfugiés viennent d'une région parmi les plus pauvres de Birmanie et arrivent dans un état de grande fragilité physique: un sur cinq souffre de malnutrition sévère, a dénoncé vendredi le haut Commissariat aux réfugiés de l'ONU.
- Conseil de sécurité divisé -
Le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres avait réclamé la veille un "arrêt des opérations militaires" en Birmanie et dénoncé un "cauchemar humanitaire", lors d'une réunion du Conseil de sécurité.
Il a aussi demandé jeudi au gouvernement birman un "accès humanitaire" dans la zone de conflit et "le retour en sécurité, volontaire, digne et durable" dans leurs régions d'origine des réfugiés ayant fui au Bangladesh.
Le Conseil de sécurité est divisé sur le dossier birman, Pékin et Moscou apportant leur appui aux autorités birmanes, qui démentent tout nettoyage ethnique.
Rebelles rohingyas et armée birmane s'accusent mutuellement des atrocités commises depuis fin août en Birmanie, des incendies de villages aux meurtres de civils.
A ce jour, les multiples appels de l'ONU à mettre fin à la répression, à ouvrir un accès humanitaire et à permettre un retour des Rohingyas sont restés lettre morte. Et la dirigeante birmane Aung San Suu Kyi, Prix Nobel de la paix, est très critiquée pour sa gestion de la crise, qui a ravivé de profonds sentiments antimusulmans en Birmanie, pays à plus de 90% bouddhiste.
Un voyage dans l'ouest birman des représentants des agences des Nations unies en Birmanie aura lieu lundi prochain.
L'ONU a précisé vendredi avoir prolongé de six mois le mandat de la mission d'établissement des faits en Birmanie, mission chargée d'enquêter sur les violations et autres abus commis dans ce pays et en particulier dans l'Etat Rakhine.