Depuis des mois déjà, le choc de leurs ambitions nourrit de vives tensions au sommet du régime.
Et la décision du chef de l'Etat de briguer un nouveau mandat à l'élection présidentielle de l'an prochain, malgré ses 93 printemps et une fâcheuse tendance à s'endormir en public, n'y a rien changé.
Depuis son accession à la vice-présidence en 2014, Emmerson Mnangagwa, 75 ans, ex-patron des redoutés services secrets du pays, fait figure de dauphin naturel de Robert Mugabe.
Mais un obstacle de poids s'est dressé sur sa route, en la personne de la deuxième épouse du chef de l'Etat.
Jusque-là célèbre pour ses goûts de luxe et ses accès de colère, l'imprévisible Grace Mugabe a pris ces dernières années une place de choix sur la scène politique nationale, soutenue par un groupe de jeunes militants radicaux du parti au pouvoir, la Zanu-PF.
Le bras de fer entre Emmerson Mnangagwa et Grace Mugabe se jouait jusque-là à huis-clos, il a pris cette semaine un tour aussi public que violent.
Hospitalisé d'urgence en août dernier en Afrique du Sud, M. Mnangagwa, surnommé le "Crocodile", a affirmé qu'il avait en fait été victime d'une tentative d'empoisonnement.
- Fatale crème glacée -
"Les médecins qui m'ont soigné ont exclu le scénario de l'intoxication alimentaire mais ont confirmé qu'il s'agissait bien d'un empoisonnement", a-t-il répété jeudi lors d'un rare point de presse télévisé.
Le vice-président n'a livré aucune preuve de ses affirmations ni mis en cause de possible commanditaire, se bornant à indiquer qu'une enquête était "en cours".
Les partisans de M. Mnangagwa affirment depuis deux mois que leur champion a été délibérément intoxiqué à l'occasion d'une réunion politique, par le biais d'une crème glacée fabriquée dans une laiterie propriété de... Grace Mugabe.
M. Mnangagwa a pris soin de ne pas reprendre ces accusations. Mais, visiblement piquée au vif, la Première dame a réagi dès jeudi soir en démentant toute responsabilité dans cette affaire.
"Comment pourrais-je empoisonner Mnangagwa? Je suis la femme du président", s'est-elle offusquée lors d'une réunion des jeunes de la Zanu-PF dans un hôtel d'Harare.
"Qu'est-ce que je pourrais bien lui envier que je n'ai pas ? Pourquoi voudrais-je tuer quelqu'un qui a obtenu sa fonction de mon mari ? Cela n'a aucun sens", a raillé Mme Mugabe lors de cette intervention diffusée par la télévision nationale.
"Nous sommes témoins d'un combat entre deux poids lourds qui va faire des dégâts", a prédit l'analyste Derek Matyszak, de l'Institut des études de sécurité (ISS) de Pretoria.
- 'Point de rupture' -
Simple rumeur ou réelle tentative d'empoisonnement, l'affaire nourrit depuis plusieurs jours de vives tensions au sein du premier cercle du pouvoir zimbabwéen.
Avant la Première dame, l'autre vice-président du pays, Phelekezela Mphoko, a accusé mercredi son confrère Mnangagwa de vouloir "discréditer l'autorité du président Mugabe et déstabiliser le pays en proférant des mensonges".
La presse locale a également fait écho d'un incident intervenu mardi à l'aéroport de Harare. Une vidéo qui a fait le délice des réseaux sociaux suggère que M. Mugabe, de retour d'une visite en Afrique du Sud, a délibérément refusé de serrer la main de M. Mnangagwa au pied de l'avion.
"Ce niveau de tension est sans précédent et pourrait avoir atteint un point de rupture", a jugé M. Matyszak. "Il y a fort à parier que Mugabe va devoir réagir à cette affaire Mnangagwa".
Maître absolu du Zimbabwe depuis son indépendance en 1980, Robert Mugabe a réussi à maintenir une stricte discipline au sein de son parti en écartant ses rivaux plus ambitieux.
Il y a trois ans, son épouse avait sonné la charge contre un autre successeur potentiel, la vice-présidente Joice Mujuru. Evincée, elle a rejoint aujourd'hui l'opposition, et été remplacée par... M. Mnangagwa.
La sortie jeudi de Grace Mugabe pourrait signaler que son époux s'apprête maintenant à se débarrasser de ce dernier, devenu top encombrant.