C’est à Tunis que l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) a réuni début octobre son Conseil exécutif. Elle y a dressé les avancées en matière de lutte contre la torture de la Tunisie et lancé une initiative rapprochant la société civile des Etats pour endiguer une grave violation des droits de l’homme nommée torture.
« Nous reconnaissons à la Tunisie le progrès significatif qu’elle a obtenu en termes de mise en place d’un cadre juridique de lutte contre la torture et d’un mécanisme indépendant de prévention contre la torture. Mais nous savons également que l’impunité prévaut toujours dans les affaires impliquant des tortionnaires », déclarait l’avocate pakistanaise Hina Jilani, présidente du Conseil exécutif de l'Organisation mondiale contre la torture (OMCT), qui a tenu du 2 au 4 octobre, pour la première fois, son Conseil à Tunis, première ville du « Printemps arabe ».
Ce collectif de six experts issus de la plus grande coalition internationale d’organisations de la société civile actives dans la lutte contre la torture, a rencontré au cours de sa visite en Tunisie des acteurs associatifs ainsi que des membres de l’exécutif, dont le président de la République, Béji Caied Essebsi et le président du Gouvernement, Youssef Chahed. Ce qui lui a permis de constater un certain nombre d’avancées, parmi lesquelles l’imprescriptibilité du crime de torture dans la nouvelle constitution (article 23).
Aucune plainte n’a abouti jusqu’ici
L’organisation s’inquiète toutefois de « la persistance de la culture autoritaire dans certaines institutions de l’Etat et d’une réalité pas toujours en conformité avec la législation». Ce qui ancre l’impunité et fragilise les victimes. Le Conseil exécutif s’est alarmé du grand nombre de plaintes déposées auprès des tribunaux et qui n’ont, jusqu’à ce jour, abouti à aucun jugement pour torture. Pire encore, le Conseil exécutif a été informé de nombreux cas de représailles et d'intimidation contre ceux qui ont le courage de déposer plainte et de demander de l'aide.
« Il est important que la justice connaisse des réformes et que ses moyens humains et logistiques soient renforcés. Aujourd’hui on sent un manque flagrant de volonté pour condamner les tortionnaires », souligne le Tunisien Mokhtar Trifi, vice président du Conseil exécutif de l’OMCT, ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) et farouche militant de la lutte contre la torture au temps de la dictature.
« Sur les 200 victimes de torture qui ont fait appel depuis 2013 à nos centres Sanad (Soutien), à Sidi Bouzid et au Kef, seuls 90 ont porté plainte. Les autres se sont contentés de l’assistance médicale et sociale que nous leur fournissons. Car ils savent qu’ils peuvent faire face à des représailles ou à des menaces de représailles», explique Camille Henry, qui travaille au bureau de Tunis de l’OMCT.
Chantages, menaces, pressions et représailles
Jusqu’à ce jour, aucune décision de justice, proportionnelle à la gravité de ce crime, n’a été rendue sur le fondement de l’article 101 bis du Code pénal tunisien qui sanctionne les actes de torture.
Camille Henry rapporte deux cas précis de pressions sur les victimes recueillis à travers le réseau d’avocats de l’OMCT.
Habib, asthmatique est incarcéré avec plusieurs prisonniers dans une cellule où on fume à longueur de journée. Pour des raisons de santé, il demande à être transféré dans une chambrée moins encombrée. Réponse des gardes : des coups et des violences. Il saisit la justice et se voit la maltraitance se démultiplier pour le forcer à se rétracter.
Les époux Mongia et Mohamed Ali subissent une descente policière musclée. Mongia est trainée par les cheveux sur plusieurs mètres de la voiture. Elle dépose une requête devant la justice. Des faux procès sont alors montés contre Mohamed Ali pour faire plier le couple. Le mari se retrouve obligé de rester à l’étranger où il était précipitamment parti chercher refuge.
Les pratiques de chantage sont courantes à ce niveau : on rode autour de la maison de telle victime le sourire menaçant, on incite un propriétaire à expulser une autre, on harcèle la fille d’une telle autre, on propose un pseudo dédommagement…
« Un grand nombre de personnes ayant dénoncé leurs tortionnaires se trouvent accusées d’avoir violé l’ordre public ou porté atteinte à des biens publics. Elles sont condamnées rapidement. Par contre, leurs plaintes ne progresse jamais selon la même vitesse que celles des agents de sécurité », affirme Mokhtar Trifi.
Le terrorisme ne justifie pas la torture
Le Conseil exécutif de l'OMCT s'est également réuni en Tunisie dans le but d’examiner l'état actuel des réformes anti-torture à l'échelle mondiale. Il s’est alarmé que de plus en plus de pays adoptent des législations restrictives ou criminalisent les activistes anti-torture. Lors d’une conférence de presse organisée à Tunis le Conseil exécutif a signalé une situation critique « dans des pays comme la Turquie, les Philippines ou encore l'Égypte pour lesquels nous recevons de plus en plus d'informations sur la pratique de la torture et l'impunité qui en découle ».
Le thème des routes migratoires et des violations des droits de l’homme qui jalonnent ces chemins de l’exil forcé semblent également préoccuper sérieusement le Conseil exécutif
« Le débat mondial concernant la migration et les mesures pour contrer cette dernière ignorent que de nombreuses personnes ont dû quitter leur pays en raison de la répression et de la torture », souligne l’OMCT dans un récent communiqué de presse.
L’autre point sur lequel ont insisté les experts de l’organisation concerne le débat actuel en matière de guerre contre le terrorisme qui suggère que la torture pourrait être un moyen efficace de lutter contre les menaces sécuritaires.
« Tous ces indicateurs menacent de déconstruire les acquis en matière d’Etat de droit et de libertés obtenus au cours des cinquante dernières années », a ajouté l’OMCT.
A l’occasion de la tenue du Conseil de l'OMCT à Tunis, l'organisation a lancé une nouvelle initiative mondiale intitulée « la société civile contre la torture» pour mobiliser les mouvements associatifs de par le monde contre la torture.
« Au cours des trois prochaines années, l'organisation renforcera son travail pour soutenir les acteurs locaux dans leur engagement avec les États pour les réformes anti-torture et la mise en œuvre de la Convention des Nations Unies contre la torture », conclut le communiqué de presse de l’OMCT.