Au bout d’une bataille qui a duré plus de deux ans entre le président de la République et une bonne partie de la société civile, Béji Caied Essebsi a remporté la partie. Il a paraphé mardi 24 octobre « sa » loi relative à la réconciliation administrative.
La loi relative à la réconciliation administrative a été adoptée le 13 septembre par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), à hauteur de 117 voix sur les 217 en tout, après une séance parlementaire intense et houleuse rythmée par des manifestations de rue contre le projet. Or jugée inconstitutionnelle par 38 députés de l’opposition, ceux-ci déposent une requête devant l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité (IPCC) des lois en vue de faire suspendre ce texte. Mais cette instance échoue à émettre un verdict final. Ses six membres votent trois en faveur de l’initiative législative du président et trois contre. Résultat : la loi est renvoyée à son émetteur (le chef de l’Etat), comme le prévoit le législateur, qui s’empresse de la parapher et de la promulguer.
« Cette nouvelle loi, adoptée le 13 septembre dernier par le parlement, vise à asseoir un climat favorable à la libération des initiatives au sein de l'administration, à la promotion de l'économie nationale et au renforcement de la confiance dans les institutions de l'Etat », déclarait la semaine dernière dans un communiqué la présidence de la République.
« Le Président a gagné le tiers de la partie »
Pour l’ex juge administratif Ahmed Souab, à la retraite depuis quelques mois, qui fait partie des plus grands détracteurs du projet de loi, il ne s’agit que d’une trêve : « Le Président a gagné le tiers de la partie. Les deux autres grands chapitres de la loi sont tombés pendant les débats et grâce aux protestations de rue, à savoir la réconciliation avec les hommes d’affaire et l’amnistie de change ».
En effet la loi ne garde de sa version initiale, proposée par BCE le 14 juillet 2015, que les dispositions concernant les fonctionnaires et assimilés. La nouvelle loi, composée de 8 articles sur les 12 à l’origine, peut ainsi les amnistier s’ils sont indemnes de toute corruption et s’ils n’ont pas tiré pots de vin et profit de leurs services rendus au pouvoir. Mais même amendée cette loi reste est toujours qualifiée de vouloir « blanchir les corrompus », selon la formule des jeunes du groupe Manich Msamah (Je ne pardonnerai pas).
En attendant l’installation de la Cour Constitutionnelle
Fustigée par de nombreuses ONG, cette loi « favorise l’impunité et l’inégalité devant la justice des citoyens », insistent les associations Al Bawsala et I watch et le bureau de Tunis du Centre International pour la justice transitionnelle (ICTJ). Aujourd’hui, ni la société civile, ni les députés de l’opposition ne semblent vouloir abdiquer. Des communiqués et des articles pour dénoncer une loi jugée contraire aux revendications éthiques de la révolution tunisienne continuent à être publiés, dont ceux de l’Ordre des avocats et l’Association des magistrats tunisiens (AMT).
Des voix de l’opposition parlementaire s’élèvent pour appeler à la démission des membres de l'Instance provisoire de contrôle de la constitutionnalité « s’étant pris au jeu des pressions de l’exécutif », accuse le député Ghazi Chaouachi. Mais pour le juge Souab, la bataille n’est pas finie. « Le jour où la Cour constitutionnelle sera mise en place, les justiciables peuvent attaquer cette loi et obtenir auprès du juge constitutionnel le prononcé de son inconstitutionnalité. Le juge constitutionnel peut révoquer la loi sur la réconciliation administrative et l’exclure ultérieurement de l’ordonnancement juridique de l’Etat tunisien », prédit Ahmed Souab.