La procureure de la Cour pénale internationale (CPI) veut enquêter sur les crimes commis en Afghanistan et sur les prisons secrètes de la CIA en Europe. Fatou Bensouda a annoncé, le 3 novembre, qu’elle s’apprêtait à demander aux juges l’autorisation d’ouvrir une telle enquête.
La procureure a annoncé, le 3 novembre, son intention d’enquêter sur les crimes commis en Afghanistan. « J'expliquerai aux juges qu'il existe une base raisonnable permettant de croire que des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité ont été commis dans le cadre du conflit armé qui fait rage en Afghanistan lorsque je leur présenterai, en temps opportun, ma demande d'autorisation d'ouvrir une enquête » a déclaré Fatou Bensouda dans un communiqué. Il a fallu quatre jours à la présidente de la Cour, Silvia Fernandez de Gurmendi, pour désigner les trois juges qui seront chargés de se prononcer sur la future requête, dont le dépôt effectif devrait être imminent.
Talibans, forces américaines, CIA
Dans son communiqué, la procureure indique que sa demande concernera « les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité qui auraient été commis sur le territoire afghan depuis le 1er mai 2003 », date à laquelle l’Afghanistan a adhéré à la Cour. Elle devrait aussi enquêter sur « les crimes de guerre étroitement liés à la situation en Afghanistan qui auraient été commis depuis le 1er juillet 2002 sur le territoire d'autres États parties au Statut de Rome. » Dans de précédents rapports d’étape, la procureure avait précisément évoqué les crimes commis par les Taliban. Elle avait aussi dénoncé les tortures et les mauvais traitements infligés par la Direction nationale de la sûreté, les services de renseignements du régime, et par la police afghane. Enfin, Fatou Bensouda avait clairement pointé les tortures commises par l’armée américaine en Afghanistan, et les crimes de la CIA dans les prisons secrètes en Europe. Le détail du programme de la CIA en Europe avait été documenté dans deux rapports du Conseil de l’Europe, en 2006 et 2010. Son auteur, le sénateur Dick Marty, avait affirmé que c’est grâce à « la collusion - intentionnelle ou gravement négligente - des partenaires européens » que la CIA a pu torturer des prisonniers transférés dans des prisons secrètes sur le seul européen.
Tortures et prisons secrètes
La procureure semble cibler particulièrement trois pays : la Lituanie, la Roumanie et la Pologne. « Des individus capturés dans le cadre du conflit armé en Afghanistan, tels que les membres présumés des Taliban ou d’Al Qaïda, auraient été transférés dans des centres de détention » en Europe, écrivait-elle dans l’un de ses rapports. Leurs interrogatoires auraient donné lieu à des tortures, des traitements cruels, des atteintes à la dignité de la personne et des viols. Des actes « commis en application d’une politique », soulignait-elle, dans l’objectif de « servir les objectifs américains dans le conflit en Afghanistan ». Elle ajoutait que « la gravité des crimes allégués est renforcée par le fait qu’ils auraient été perpétrés en exécution d’un plan ou d’une politique approuvée dans les plus hautes sphères du gouvernement américain, au terme de longues délibérations ». Selon la procédure à la Cour, un Etat peut demander à la Cour de se dessaisir s’il engage lui-même des poursuites. Jusqu’ici aucun haut responsable américain n’a dû répondre de ses crimes aux Etats-Unis. Washington n’a pas ratifié le traité de la Cour, craignant justement qu’elle puisse viser des ressortissants américains. Mais le fait que les crimes présumés aient été commis sur le sol afghan, un Etat membre, rend la Cour compétente à leur égard. Au cours de sa campagne, Donald Trump affirmait « aimer » le simulacre de noyade. « Je ne crois pas que ce soit suffisamment dur », avait-il déclaré. Même si la torture ne marche pas, comme l’avait conclu en décembre 2012 un rapport du Sénat américain, « je l’autoriserai parce que dans tous les cas ils le méritent à cause de ce qu’ils nous ont fait » ajoutait-il. Avant même le dépôt de la requête de la procureure, Washington a déjà tenté de peser sur ce dossier, indiquent plusieurs sources. Alors que l’administration américaine a décidé, fin août, de renforcer sa présence militaire en Afghanistan, l’intervention de la Cour est d’autant plus bienvenue. Les juges, dont la réponse n’est pas attendue avant 2018, devront dire s’il existe « une base raisonnable » pour ouvrir une telle enquête.
Coopération
Le bureau du procureur avait, en 2007, rendu public son examen préliminaire. Si son prédécesseur avait, à la fin de son mandat, tenté, sans y parvenir, de clore le dossier, Fatou Bensouda s’en est au contraire pleinement emparé dès le départ. En novembre 2016, elle avait annoncé des conclusions « imminentes », mais avait dû reporter sa décision. Le gouvernement afghan, qui jusqu’ici n’avait jamais coopéré, avait créé quelques mois plus tôt, début 2016, un comité ministériel dédié à la CPI, et décidé de traduire en Dari et Pashto le statut de Rome, jusque-là parfaitement inconnu dans le pays. Au printemps, Kaboul a aussi transmis des milliers de pages de dossiers à la Cour concernant des affaires en cours dans le pays. Les juridictions nationales ayant primauté, la Cour n’intervient que si les auteurs de crimes restent impunis. Réagissant à l’annonce de la procureure, Guissou Jahangiri, vice-présidente de la Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et directrice d’Armanshahr/Open Asia rappelle que « depuis des générations, les Afghans ont souffert des crimes internationaux commis dans leur pays, où il n’y a jamais eu ni paix, ni de réel mécanisme d’établissement des responsabilités, y compris devant les juridictions nationales. La situation en Afghanistan n’évolue pas. »