Les derniers magistrats et autres membres du personnel de la Cour pénale spéciale (CPS) de Centrafrique ont prêté serment le lundi 06 novembre 2017 sur fond d’interrogations persistantes quant à l’opérationnalité de cette juridiction hybride.
Six greffiers nationaux, quatre secrétaires, vingt officiers de police judiciaire et deux juges internationaux ont fait le serment de s’acquitter de leur mission alors que les groupes armés contrôlent toujours la plus grande partie du territoire centrafricain. Comment les équipes du procureur pourront-elles mener leurs enquêtes dans certaines régions où même le président élu Faustin Archange Touadera ne peut se déplacer que sous la protection de Casques bleus de l’ONU ? Quel soutien cette Cour peut-elle attendre d’un gouvernement où siègent, depuis le dernier remaniement ministériel, des personnalités notoirement proches de certains groupes armés qui se sont illustrés par leurs exactions ? Qui, du gouvernement centrafricain ou de la Mission de l’ONU (MINUSCA) aura le courage et les moyens de forcer les fiefs bunkerisés de chefs de guerre patentés prêts à en découdre pour échapper à la justice ?
« La route est encore longue », estime un observateur occidental, prédisant d’énormes difficultés pour la Cour à faire arrêter les suspects. Cette analyse rejoint celle de Thierry Vircoulon, enseignant à Sciences-Po et chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (Ifri), qui affirmait, dans un récent entretien avec JusticeInfo.net, que les magistrats de la Cour « arrivent dans un terrain miné ».
« Je me sens prêt à affronter ces défis »
Nommé en février dernier, le procureur de la CPS, Toussaint Muntazini Mukimapa, officier supérieur des Forces armées de la République démocratique du Congo (RDC), se dit conscient de tous ces défis.
« Les défis sécuritaires peuvent compromettre les enquêtes. Mais nous sommes là pour les affronter. Avant même de venir, j’étais conscient que beaucoup de défis allaient se poser à moi. Si j’ai accepté d’exercer ce mandat, c’est parce que je me sens prêt à affronter ces défis et je sens que j’aurais le soutien des autorités et du peuple tout entier », a déclaré le colonel Muntazini Mukimapa au sortir d’un entretien le 29 mai à Bangui, avec le président de l’Assemblée nationale de Centrafrique Abdou Karim Meckassoua. Sans entrer dans le détail, le colonel-magistrat congolais a ajouté qu’il disposait de stratégies pour enquêter sur les «seigneurs de guerre (qui) continuent à commettre des crimes impardonnables ».
La Cour pénale spéciale de la République centrafricaine a été créée sous le gouvernement de transition de Catherine Samba- Panza, par la loi n°15.003 du 3 juin 2015. Elle est compétente pour enquêter, instruire et juger les violations graves des droits de l’Homme et les violations graves du droit international humanitaire, commises sur le territoire centrafricain depuis le 1er janvier 2003. Le travail de la CPS est complémentaire de celui de la Cour pénale internationale (CPI) à laquelle le même gouvernement de Catherine Samba-Panza a déféré la situation en Centrafrique depuis août 2012. La CPS, tribunal hybride, est composée de magistrats et de personnel nationaux et internationaux.
Groupes de pression
Les innombrables victimes de tant d’années de violations graves des droits de l’homme, les associations centrafricaines et internationales ont toutes donc les yeux aujourd’hui tournés vers Muntazini Mukimapa, l’homme qui doit déclencher les poursuites.
Dans son rapport publié mardi 30 mai sur les plus graves violations des droits de l’homme en Centrafrique depuis 2003, l’ONU recommande ainsi au procureur de la CPS de bien élaborer et publier sa stratégie de poursuites avant d’entamer ses enquêtes. Les auteurs du rapport estiment que la publication de cette stratégie permettra à Muntazini Mukimapa de faire face à d’éventuelles pressions de la part de groupes politiques, religieux ou ethniques.
Le procureur de la CPI devra par ailleurs harmoniser sa stratégie avec les enquêtes de la CPI et des tribunaux nationaux et le travail de la future Commission vérité, justice, réparation et réconciliation.