L'audience de ce mercredi 8 novembre, vingt-deux ans après la première plainte déposée contre l’abbé Wenceslas Munyeshyaka en France, au titre de la compétence universelle pour complicité de génocide, tortures et mauvais traitements commis au Rwanda durant le génocide des Tutsis de 1994 a été finalement renvoyée au 31 janvier 2018. Faute de temps pour entendre toutes les parties civiles. Ce dossier historique et symptomatique par sa durée des affaires rwandaises jugées devant la justice française, avait fait l’objet d’un non-lieu rendu le 2 octobre 2015, pour « faiblesse des éléments à charges ».
Les parties civiles n’étaient pas de cet avis. Elles ont fait appel. Toutes ne seront pas à l’audience, non publique, devant la composition d’appel de la chambre d’instruction de Paris, présidée par le juge Philippe Dary, ancien président de cours d’assises expérimenté, mais pas moins de seize parties civiles dont onze personnes physiques et cinq associations sont constituées pour représenter les victimes. Parmi les associations, la Licra, la FIDH, Survie, la Ligue pour la défense des droits de l’homme et le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) se sont déclarées consternées, il y a deux ans, à l’annonce du non-lieu. « 20 ans de procédure pour aboutir à un non lieu, c’est incompréhensible pour les victimes et nos organisations parties civiles qui attendaient la tenue d’un procès depuis 1995 » s’était exclamé Me Patrick Baudoin, de la FIDH.
Une décision de non lieu « quasiment scandaleuse »
« Cette décision des juges nous était apparue quasiment scandaleuse » se souvient Alain Gauthier, président du CPCR. « Nous n’avons pas de nouvel élément, mais nos avocats vont souligner la responsabilité individuelle de l’abbé Munyeshyaka dans les grandes attaques qui ont eu lieu dans l’église de la Sainte Famille [où officiait le prêtre durant le génocide, NDLR]. Nous avons eu l’impression que les juges ont fait une part très importante aux paroles de l’abbé et des témoins qui le défendent au détriment des témoignages des rescapés. » Alain Gauthier rappelle que le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) avait demandé à la France de le juger en transférant son dossier en novembre 2017, tout comme celui de l’ancien préfet de Gikongoro Laurent Bucybaruta. « Nous avons été surpris de voir que les juges ne tenaient pas compte de la demande du TPIR », accuse le président du CPCR. Mais l’appel des parties civiles n’a pas été entendu par le procureur général de la Cour d’appel qui, dans son dernier réquisitoire, reprend les conclusions des juges d’instruction Emmanuelle Ducos et Claude Choquet, aujourd’hui respectivement devenus magistrats l’une devant la Cour pénale spéciale de Bangui et l’autre pour le pôle anti-terroriste de Paris.
Pas de contribution active, selon l’avocat général
Leur ordonnance de non lieu était détaillée. Concernant sa paroisse, La Sainte Famille, qui héberge dès le 12 avril 1994 entre 2500 et 3000 réfugiés, en grande majorité tutsis, le comportement du prêtre diffère selon les principales attaques recensées : le 15 avril, alors qu’au minimum vingt à trente personnes sont tuées, il est présent sur les lieux mais semble avoir contribué à alerter et protéger les réfugiés ; le 17 juin, alors qu’au minimum cinquante réfugiés sont fusillés à l’aveugle, sa fuite dans une chambre de la procure jusqu’à la fin des massacres interpelle mais ne permet pas de caractériser sa participation active à l’attaque ; les 18 ou 19 juin, entre dix et vingt hommes tutsis sont enlevés par des miliciens et abattus, mais le fait qu’il échange avec les autorités durant la durée de l’attaque n’établit pas qu’il a assisté les miliciens ou participé à la sélection des réfugiés. Concernant les accusations de viol, seul un témoin maintenait ses accusations à l’égard du prêtre à l’issue de l’instruction, mais elles n’ont pas été considérées comme suffisamment probantes par les juges. Dans ses réquisitions, le procureur ajoute : « La procédure reposant pour l’essentiel sur des témoignages, dans un dossier emblématique, il convenait d’examiner attentivement leur valeur probante. S’agissant des actes pour lesquels M. Munyeshyaka était visé comme auteur direct, il résultait que les accusations portant sur les viols, les dénonciations de réfugiés, les privations de nourriture et de soins, n’étaient pas suffisamment étayées ». Ainsi, « en dépit de ses prises de position idéologiques, de sa proximité avec les miliciens ou avec les autorités génocidaires, et surtout de sa passivité lors des exactions commises, les éléments du dossier ne permettaient pas de caractériser des actes matériels de collaboration et de conclure à une contribution active de la part du mis en cause. »
« Je ne suis pas un héros, mais je ne suis pas un Touvier »
En défense, les avocats de l’actuel curé de Gisors (Eure), Me Florence Bourg et Jean-Yves Dupeux, vont reprendre à leur tour les charges point par point. « C’est un dossier emblématique, qui a fait énormément de presse, qui met en cause le rôle de l’Eglise dans le génocide au Rwanda, et est un des plus anciens en France, décrit Me Florence Bourg. » C’est aussi un dossier énorme, avec plusieurs centaines de témoins entendus, nombre d’entre eux à plusieurs reprises, une vingtaine de confrontations organisées avec le prêtre rwandais mis en examen. Wenceslas Munyeshyaka, juste après sa mise en examen déclarait dans une conférence de presse : « Je ne suis pas un héros, mais je ne suis pas un Touvier. J’ai fait ce que j’ai pu. Ma seule faute est d’avoir aidé mon peuple dans un pays en guerre. »
Le père Munyeshyaka ne parle pas, du moins pas avant le délibéré de la chambre d’instruction. « Aujourd’hui il a 59 ans, il était jeune au moment des faits, cette procédure a été un long long chemin et l’on espère que l’issue sera heureuse, déclare son avocate. C’est un combattant, il s’est battu jusqu’au bout et lorsque l’ordonnance de renvoi est arrivée c’était à la fois une grande satisfaction et un épuisement : cela fait vingt ans qu’on l’accuse ! Mais oui, il est content que la justice ait reconnu son innocence et il attend le mot de la fin. » Un des premiers et sans doute un des plus médiatique et emblématique, le cas du prêtre de la Sainte Famille est aussi un dossier parmi vingt-cinq autres, liés aux massacres de 1994, instruits par le pôle parisien spécialisé dans les crimes contre l’humanité, créé en 2012 pour faire face en particulier à l’accumulation des plaintes concernant plusieurs rwandais réfugiés en France. Ainsi à Rouen, un franco-rwandais, Claude Muhayimana, attend la clôture prochaine de l’instruction pour laquelle le parquet a demandé, début octobre, son renvoi en assises pour « complicité » de génocide. Deux procès ont déjà eu lieu, un appel est programmé pour 2018 et plusieurs autres instructions sont sur le point d’aboutir. Mais la cour d’assises de Paris est engorgée par les procès de terrorisme, qui sont prioritaires.