"Je n'ai jamais fait de mal à personne! Lui non plus!": Dusko Mladic désigne le portrait dans son salon de son cousin Ratko, qui saura le 22 novembre s'il est condamné pour crimes contre l'humanité.
Sans attendre le verdict du Tribunal pénal international sur l'ex-Yougoslavie (TPIY), Ratko Mladic est considéré en Occident comme un "boucher", notamment chef d'orchestre du siège de Sarajevo et du massacre de Srebrenica commis par les forces serbes durant le conflit intercommunautaire de 1992-95 (100.000 morts, 2,2 millions de déplacés).
Chez lui, en Républika Srpska, l'entité des quelque un million de Serbes de Bosnie, il "restera un héros, indépendamment de tout", prédit Momcilo Krajisnik, 72 ans, ex-président du Parlement des Serbes de Bosnie. Lui-même condamné à La Haye à 20 ans de prison, il avait reçu après sa libération en 2013 un accueil triomphal à Pale, l'ancien fief de Radovan Karadzic.
Dépendant de sa juridiction, les milliers de pierres blanches du mémorial de Srebrenica, n'ébranlent pas Mladen Grujicic, maire serbe de la ville-martyre: le chiffre des morts "inscrit sur la plaque mémorielle n'est pas exact" et Mladic "personnellement n'a commis aucun crime", dit le quadragénaire qui a pris la mairie à un Bosniaque l'an passé.
En trois jours de juillet 1995, quelque 8.000 hommes et adolescents musulmans avaient été massacrés par les forces serbes qui s'étaient emparées de l'enclave musulmane en Bosnie orientale.
- 'Rue Général Mladic' -
Retraité du bâtiment et ancien combattant, Dusko Mladic vit toujours dans le village familial de Bozanovici (est), face à la maison où lui et son cousin ont vu le jour. Un panneau le long de l'artère non carrossable qui traverse ce hameau de moyenne montagne, annonce la "Rue Général Mladic".
Dusko évoque son "idole" d'enfance qui "faisait les foins" lors de ses permissions ou lui confectionnait un pistolet avec deux morceaux de bois. Aujourd'hui, les portraits de son parent s'affichent jusque sur sa bouteille de "rakija", son eau de vie artisanale: "Si on se place du côté de la justice, de la vérité, de Dieu, il devrait être acquitté."
L'opinion est partagée au-delà du cercle familial. "Chaque habitant de Republika Srpska accueillerait avec joie un acquittement" du "De Gaulle serbe", dit Janko Seslija, 57 ans, président des anciens combattants des "Beli vukovi" ("Loups blancs"), unité commando de paramilitaires de Pale.
Dans cette ville parsemée de monuments en hommage aux anciens combattants et grossie des Serbes qui ont quitté Sarajevo quinze kilomètres plus bas, l'aura de Mladic est intacte.
"Il va falloir attendre longtemps pour retrouver un tel homme", "un grand patriote", dit Jelena Sekara, infirmière d'une cinquantaine d'années. "Le général est un héros", renchérit Ljubomir Cvoro, 28 ans, ouvrier du bâtiment au chômage.
"La plupart de mes collègues commandants ont fini en prison", "j'ai été interrogé par la justice bosnienne", mais "personne ne m'a jamais ordonné de commettre des crimes, je n'en ai pas vus et je n'ai pas entendu Mladic ordonner ça", affirme un ancien officier supérieur ayant combattu sous ses ordres, Mile Kosoric, 64 ans. "Je pense seulement que si nous ne nous étions pas défendus, nous n'aurions plus existé", poursuit cet ex-militaire yougoslave, retiré à Han Pijesak, bastion nationaliste serbe où Ratko Mladic avait installé son quartier général, enterré au milieu d'une forêt de pins.
- Les 'trois vérités' -
Dans un bureau de sa station-essence des faubourgs de Pale, Momcilo Krajisnik a accroché une décoration décernée par l'actuel patron politique des Serbes de Bosnie, Milorad Dodik: "Partout la vérité est unique, sauf en Bosnie-Herzégovine. Ici, il y a trois vérités", celles des Serbes, des Croates et des Bosniaques. "Pour les Serbes, le tribunal a été mis en place pour juger les Serbes", "condamnés pour des faits pour lesquels les autres ne sont même pas inculpés".
En Republika Srpska, le récent acquittement à Sarajevo pour des crimes contre des Serbes de Naser Oric, commandant bosniaque de Srebrenica, ne passe pas. "C'est le verdict le plus honteux de l'histoire", dénonce Mladen Grujicic pour qui les justices internationale et bosnienne n'ont de cesse "de désigner le peuple serbe comme génocidaire". Si Oric avait été "condamné, cette image aurait changé".
Ce tribunal n'a pas mis en place "les conditions pour tourner la page", juge le président de l'association des anciens combattants de Pale, Mihailo Paradjina, 63 ans. Dans sa station-service, Krajisnik, prédit que "la haine née" dans les années 1990 "sera difficilement déracinée".