Les analystes craignent que le suicide télévisé de l'un de ses accusés, Slobodan Praljak, un Croate de Bosnie, n'occulte le dernier jugement d'un tribunal international qui a consacré près d'un quart de siècle à juger les responsables des pires atrocités commises en Europe depuis 1945.
Mercredi, devant le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY) et sous les yeux du monde entier, un homme à la barbe blanche, robuste et déterminé, renverse la tête en arrière et, d'une gorgée, boit le liquide d'une fiole. Il meurt quelques heures plus tard dans un hôpital de La Haye.
C'est sur ces images que va se fermer le TPIY à la fin de cette année. Un baisser de rideau où la salle d'audience est devenue "scène de crime".
"Que cela ait pu se produire tout court dans un tribunal de haut-rang de l'ONU est difficile à comprendre, mais que cela se soit produit au tout dernier jour des procédures du TPIY, et continuera à assombrir le travail important du tribunal, défie véritablement la raison", analyse Jelena Subotic, professeur associé de Sciences politiques à l'Université de Georgie, sur le site "Balkan Transitional Justice".
Premier tribunal pour les crimes de guerre mis sur pied par les Nations unies et premier tribunal international établi après les procès de Nuremberg contre les dignitaires nazis, le TPIY, né au coeur du conflit des Balkans, était fier de laisser un héritage considérable à la justice internationale. Et devait fermer ses portes en grande pompe, avec les honneurs, au cours d'une cérémonie officielle à La Haye le 21 décembre.
Mais ce drame "donnera de l'eau au moulin des nombreux critiques du tribunal qui ont mis en doute son professionnalisme ou le traitement jugé indulgent de ses accusés qui ont détourné en beaucoup d'occasions les procédures du tribunal, intimidé des témoins et mené la salle d'audience comme si c'était un séminaire sur la mauvaise Histoire", remarque l'auteur de "Justice détournée: traiter du passé dans les Balkans".
- 'Facéties' -
Si les experts sont divisés quant à la manière dont l'histoire du TPIY sera entachée par le suicide public d'un de ses accusés, ils y voient un geste de "protestation" et une "capacité, une fois encore, de ramener les procédures à eux-mêmes".
"Ces hommes savent comment faire pour manier le pouvoir et pour que le monde regarde", analyse Frederiek de Vlaming, criminologue spécialisée en droit pénal international de l'Université d'Amsterdam, citée par le quotidien néerlandais De Volkskrant, soulignant que le verdict "est plus important que ce qu'il s'est passé" mercredi.
Et "au lieu de parler de ce dont Praljak était coupable, de ses nombreuses victimes et des horreurs qu'elles ont subies, nous parlons de lui", regrette Mme Subotic.
"Ne laissez pas ses facéties faire de l'ombre à la douleur et à la souffrance qu'il a provoquées à des milliers" de personnes, martèle sur Twitter Mark Kersten, chercheur en droit pénal international à l'université de Toronto.
Condamné à vingt ans de détention en appel mercredi, Slobodan Praljak, ancien haut responsable militaire des Croates de Bosnie, a été reconnu coupable de participation à "une entreprise criminelle commune" d'épuration ethnique aux dépens des Bosniaques en 1993 et 1994. Il a joué un rôle central dans l'approvisionnement d'armes des siens et a facilité les meurtres de musulmans n'appartenant à aucune force armée.
- Saint ou criminel? -
Sa fin spectaculaire est de nature à le transformer en "saint croate", prévient le politologue croate Zarko Puhovski.
Or, "les vrais héros, les seuls héros sont les survivants qui sont venus au tribunal, ceux qui ont survécu dans une fosse commune pendant des heures et qui, des années plus tard, sont venus raconter leur histoire et affronter les coupables", avait souligné le procureur du TPIY Serge Brammertz.
Et la condamnation du criminel de guerre nazi Hermann Goering, qui s'est suicidé pour éviter d'être puni par le tribunal de Nuremberg, "reste ancrée dans l'histoire, a établi les faits et a montré que les auteurs d'atrocités seront punis", rappelle Stephen Rapp, ex-ambassadeur itinérant pour les Etats-Unis en charge des crimes de guerre.
Ainsi, l'Histoire se souviendra que Slobodan "Praljak est mort en criminel de guerre reconnu coupable", assure M. Kersten.