A l’approche de l’anniversaire du 17 décembre 2010, date du déclenchement du soulèvement massif des Tunisiens contre le régime du président Ben Ali, un bureau de sondage vient de publier des chiffres sur la perception des Tunisiens de sept ans de Révolution. Le sondage révèle un désenchantement quasi général.
Il y a sept ans, le 17 décembre 2010, la Tunisie vit un évènement qui va bouleverser tant le cours de son Histoire que les mouvements géopolitiques d’une partie du monde arabe. A Sidi Bouzid, un jeune vendeur ambulant de 27 ans, Mohamed Bouazizi, s’immole par le feu devant le gouvernorat. En se donnant la mort dans cette ville du centre-ouest, oubliée des politiques de développement, après qu’une policière municipale lui ait confisqué sa marchandise, le jeune homme, enclenche la Révolution tunisienne. Ainsi les jours d’après le 17 décembre, la colère embrase tout le pays jusqu'à atteindre la capitale le 14 janvier 2011, date à laquelle le président Ben Ali, après 23 ans de règne sans partage, fuit le pays avec femme et enfants.
Que retiennent les Tunisiens de ces sept ans de bouleversements politiques ? Quelle est leur perception de la Révolution ? Quel bilan en font-ils ? Et quel impact sur leur vie prêtent-ils à cet événement ? Ce sont là quelques questions aux quelles un sondage récent réalisé par Sigma Conseil en partenariat avec la Fondation Konrad Adenauer a pu répondre. L’enquête révèle la phase de désillusion et de doutes par laquelle passent les Tunisiens, qui vivent, après l’enchantement du 14 janvier, une période de transition caractérisée par des situations de crises de tous genres : économique, politique sécuritaire et sociale.
Pour 80% des Tunisiens la situation du pays est pire qu’avant le 14 janvier
2 000 Tunisiens, âgés de 18 ans et plus, vivant du nord au sud du pays ont été couverts par ce sondage, qui s’est déroulé au cours de la dernière semaine du mois de novembre.
Selon l’enquête de Sigma Conseil, pour 51 % des Tunisiens, « la Révolution a échoué ». Elle n’a réussi que pour seulement 8 % d’entre eux. 56 % des personnes sondées estiment qu’ « aucun des objectifs de la Révolution n’a été atteint » et notamment, ni la dignité, ni l’emploi. 80% des Tunisiens jugent que la situation générale du pays est pire qu’avant le 14 janvier et seulement 17% l’estiment meilleure. Pour 44% des personnes sondées « la Révolution est une perte personnelle ». 90 % estiment que l’impact de la Révolution est négatif sur la situation économique du pays. Leur espoir dans l’avenir semble mitigé. A la question, « la situation économique se dégradera-t-elle encore les cinq années à venir ? », les réponses semblent partagées : 48% pensent qu'elle sera encore plus instable les prochaines années, avec un même pourcentage pour ceux qui estiment le contraire.
Et si 92% s'accordent pour dire que la liberté d'expression constitue le principal acquis de la révolution et 83% avancent l'intégration des femmes dans la vie politique comme un point positif actuellement, 48% des 18-35 ans déclarent vouloir émigrer, à cause essentiellement du chômage et de la cherté de la vie.
Tous les indicateurs économiques sont en berne
Le désenchantement révolutionnaire qui se dégage des réponses s’explique par un contexte socioéconomique extrêmement difficile et qui n’a fait qu’empirer ces dernières années. A cause des attentats terroristes, le tourisme, l’une des plus importantes sources en devises du pays, a vu ses chiffres régresser notamment après les attaques du Bardo et de Sousse de 2015. Les grèves et les mouvements sociaux ont de leur côté eu un impact négatifs sur la production des hydrocarbures, l’autre pilier de l’économie tunisienne. Résultat : stagnation de la croissance (entre 1,5% et 2%), augmentation de l’inflation (6,3%) et du chômage (15,3%) et aggravation de la dette publique (70%). Les Tunisiens ont vu d’autre part leur pouvoir d’achat régresser de plus de 40% par rapport à janvier 2011 selon l’Organisation tunisienne de défense du consommateur à la suite, en particulier, de l’inflation des prix des denrées alimentaires.
Et si selon le sondage de Sigma Conseil, deux tiers des Tunisiens qualifient de « Révolution » ce qui s’est passé entre le 17 décembre et le 14 janvier démentant les thèses complotistes, qui inondent les réseaux sociaux, leur nostalgie des années précédant ces évènements se nourrit de plusieurs frustrations. La plus importante consistant, selon l’analyste politique Zied Krichen dans l’échec des politiques à maintenir « l’alliance originelle entre le 17 décembre, moment du soulèvement de la Tunisie de l’intérieur en mal de reconnaissance et de justice sociale, et le 14 janvier, avec ses revendication de liberté clamées par les Tunisiens des villes. Le gap ne fait que s’aggraver de jour en jour et l’élite ne fait que reproduire ses privilèges liés entre autres à l’économie, au politique et au savoir. Aujourd’hui la Tunisie du 17 décembre n’est écoutée que lorsqu’elle manifeste, proteste et gueule ! ».