Jacqueline Moudeina, l'avocate et le dictateur

Jacqueline Moudeina, l'avocate et le dictateur©EU/Shimera/Alain Rolland
Jacqueline Moudeina, avocate et activiste des droits humains
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Depuis une vingtaine d'années, l'avocate Jacqueline Moudeina se bat pour les droits des victimes de dictatures en Afrique. Retour sur son combat contre le tyran tchadien Hissène Habré. Le 30 mai 2016, Hissène Habré a été condamné à la prison à perpétuité pour crimes contre l’humanité et torture, notamment pour viols et esclavage sexuel, ainsi que pour crimes de guerre, par les Chambres africaines extraordinaires au sein des juridictions sénégalaises. Le 27 avril 2017, une Chambre d'appel a confirmé le verdict et a ordonné à Habré de payer près de 123 millions d'euros pour l'indemnisation des victimes.

Dès l'enfance, la terreur  

Jacqueline Moudeina a grandi au Tchad où elle a connu les atrocités de la guerre civile et le régime de terreur de l’ex-dictateur Hissène Habré. Devenue avocate elle a défendu les victimes du « bourreau de Ndjamena ». La lutte contre l’impunité est devenue sa raison de vivre. Sa plus grande victoire : la condamnation à perpétuité d’Hissène Habré. Une victoire historique après 17 ans de lutte menés avec les victimes et autres soutiens internationaux. Une combativité et un sens de la justice que Jacqueline Moudeina a forgé dès son enfance.  

 

 

 

Poursuivre les auteurs des pires atrocités, Jacqueline Moudeina l’a fait jusqu’au sommet de l’État tchadien. Elle a traduit en justice Hissène Habré et ses complices qui ont été condamnés pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et tortures. Selon plusieurs témoins,

l’ex-dictateur tchadien aurait lui-même violé des femmes et assisté personnellement à des  séances de torture. Un rapport de la commission d’enquête tchadienne fait état de près de 40’000 personnes assassinées, 200’000 victimes de violences et torture et des milliers de disparus.

 

 

 

Libérer la parole des victimes 

D’innombrables victimes portent encore aujourd’hui les signes des sévices qu’elles ont subis pendant les 8 ans de la dictature d’Hissène Habré (1982-1990). Les arrestations arbitraires étaient une pratique courante de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS).  Des gestes au premier abord anodins pouvaient faire l'objet de suspicion et être accusé et condamné de complicité et emprisonné. C’est le cas de Ginette Garbaye. Elle avait 20 ans et était enceinte lorsqu’elle a été arrêtée. Elle a accouché au cachot où elle a été brutalisée et torturée.

 

 

  

 

Le courage malgrés les menaces

La férocité du régime criminel d’Hissène Habrée n’a pas épargné Jacqueline Moudeina. L’avocate des opprimés a aussi été la cible de menaces, d’intimidations et de braquages. Lors d’une marche de femmes à Ndjamena en 2001, elle a échappé de justesse à un attentat. Reed Brody, le conseiller juridique de l’organisation Human Right Watch (HRW), qui a soutenu dès le début le combat de Jacqueline Moudeina, s’en souvient.

 

  

  

C’est ainsi que Jacqueline Moudeina est rentrée au Tchad après un séjour de 15 mois en France pour des soins. Ses proches étaient consternés, ils voulaient qu’elle s’exile en France. Ils étaient convaincus que Hissène Habré était intouchable et que le combat de Jacqueline Moudeina mettait en danger toute leur famille.

 

La peur change de camp

Encore une fois Jacqueline Moudeina n’a pas fléchi. Elle a élevé sa voix lorsque personne n’osait parler. Son courage, sa volonté inébranlable et sa ténacité ont ouvert une brèche. Ainsi les victimes d’Hissène Habré ont peu à peu surmonté la peur et la sensation d’impuissance. Maître Moudeina les a conseillé et encouragé à témoigner devant les juges africains. Un soutien indispensable selon Ousmane Abakar, coordinateur de l'Association des victimes du régime Habré.

 

 

 

 

Commence alors un travail qui a duré 17 ans. Il s’agissait d’enquêter, d’établir une liste de victimes, de rassembler preuves et témoignages pour préparer les plaintes et les plaidoiries. Un engagement semé d’obstacles, mais à la fin Maître Moudeina et les victimes exultent. Le 30 mai 2016, Hissène Habré est condamné à perpétuité pour les pires crimes contre l’humanité. Il s’agit d’une date et d’une victoire historique dans la lutte contre l’impunité.

 

 

Reed Brody, conseiller juridique de l’organisation Human Right Watch (HRW)

 

 

Contactés pour commenter ce reportage, les complices n’ont pas souhaité s’exprimer. En outre, il est important de rappeler que c’est la première fois qu’un tribunal spécial exclusivement africain condamne un ancien chef d’État du continent pour des crimes contre l’humanité, souligne Marcel Mendy, ancien coordinateur des Chambres africaines extraordinaires.

 

 

 

"Une brèche a été ouverte"

 L’exemple tchadien pourrait être reproduit dans d’autres pays africains, en Gambie notamment. Jacqueline Moudeina s’y est déjà rendue en compagnie de Reed Brody.

 Reed Brody, conseiller juridique de l’organisation Human Right Watch (HRW)

Le procès Habré a fait des vagues. Les Africains demandent à leur tour justice dans d’autres pays comme la Centrafrique, la Guinée, la Côte d’Ivoire ou le Togo. On évoque déjà l’instauration d’une Cour africaine qui prendrait le relais des Chambres africaines extraordinaires.

 

Marcel Mendy, ancien coordinateur des Chambres africaines extraordinaires

 

De son côté Jacqueline Moudeina poursuit son engagement sur plusieurs fronts. Elle dirige l’Association tchadienne pour les droits humains (ATPDH). Elle défend notamment les enfants bouviers. Il s’agit d’enfants d’agriculteurs vendus par leurs parents à des éleveurs qui les exploitent entre autres pour conduire le bétail, un phénomène récurrent au Tchad. Jacqueline Moudeina est restée fidèle à l’esprit de la petite orpheline assoiffée de justice. Une vie vouée à la lutte contre l’impunité qui lui a valu le Nobel alternatif Livelihood et plusieurs autres prix nationaux et internationaux.