L’Accord de paix signé en 2015 à Bamako peine à s’appliquer au Mali, détériorant davantage un environnement sécuritaire dominé par des attaques terroristes, les activités des milices communautaires et les bandes criminelles. C’est dans ces conditions que le pays s’apprête à tenir la présidentielle prévue pour juillet 2018.
« Plus on met du temps à mettre en œuvre les dispositions sécuritaires de l’Accord, plus la situation va se dégrader et moins on aura de chance de sauver le reste ». A l’autre bout du fil, la lassitude respire dans la voix de Ilad Ag Mohamed, porte-parole de la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). En 2015, cette coalition des ex-rebelles indépendantistes a signé, avec le gouvernement et la Plateforme des mouvements du 14 juin 2014 d’Alger (alliance de groupes armés pro-gouvernementaux formée au fort des négociations à Alger et dont la figure de proue est le Groupement armé touareg Imghads et alliés, Gatia), un Accord de paix qui devait permettre au Mali de remonter la pente de la crise politique et socio-économique commencée en 2012. Plus de deux ans après, l’Accord de paix est à la peine. « En 2015, on n’avait pas atteint ce niveau d’insécurité. La situation était relativement stable », ajoute Ilad Ag Mohamed.
Au Mali, la mise en œuvre de l’Accord accuse du retard. Malgré la réinstallation du gouverneur de Kidal (fief des ex-rebelles indépendantistes), l’installation des autorités intérimaires et du Mécanisme opérationnel de coordination (MOC), le processus de mise en œuvre est poussif. L’environnement sécuritaire ne cesse de se dégrader avec les attaques terroristes qui ont connu une escalade depuis le début de l’année, aussi bien au nord qu’au sud, faisant une cinquantaine de morts. La plupart de ces attaques ont été revendiquées par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, principale coalition djihadiste active au Sahel, dirigée par Iyad Ag Ghaly.
Cette ancienne figure de la rébellion au Mali est aujourd’hui considérée comme l’ennemi numéro un, obstacle à l’application de l’Accord. Mais, les voix qui avaient demandé à l’associer au processus de paix depuis les négociations d’Alger, en 2015, ne sont plus audibles. A ce groupe, viennent s’ajouter les milices communautaires et bandes criminelles qui écument le centre du Mali et le nord du pays. « L’insécurité contraint le retour de l’administration au Nord, ce qui entrave la mise en œuvre de l’accord de paix. », observe pourtant Moussa Mara, ancien Premier ministre et leader du parti Yélèma (changement).
Le processus de paix stagne
Dans son dernier rapport sur le Mali, fin décembre 2017, le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, a affirmé que le président du Conseil de sécurité « s’est déclaré profondément préoccupé par le retard pris dans la mise en œuvre de dispositions essentielles de l’Accord. Il a averti que les progrès accomplis jusqu’alors n’étaient pas encore irréversibles et a exhorté les parties maliennes à accélérer la mise en œuvre de l’Accord. » Les parties maliennes ont conscience que le processus stagne, c’est pourquoi elles ont adopté à la mi-janvier, lors de la 23e réunion du Comité de suivi de l’Accord, un chronogramme qui prévoit des actions allant dans le sens de la mise en œuvre des différentes dispositions de l’Accord. Parmi ces dispositions, figure le processus Démobilisation, désarmement et réinsertion, étape cruciale vers la paix visant à reverser dans la vie politique et socio-économique des anciens combattants.
Hormis l’installation de la commission nationale de DDR et la création de huit sites de cantonnement dans les villes de Tombouctou, Gao, Ménaka et Kidal, il y a eu très peu de progrès enregistrés dans ce processus. « Le DDR, c’est la finalité. Le MOC (Mécanisme opérationnel de coordnation, ndlr) devant sécuriser les sites, qui est l’embryon de tout ça, ne fonctionne pas. Les postes militaires sont fréquemment attaqués. Tant qu’il y a les armes partout, c’est difficile de faire la différence entre qui est terroristes et qui ne l’est pas. », déplore Ilad Ag Mohamed. Pour lui, tant que les dispositions sécuritaires ne sont pas mises en œuvre, « à savoir le MOC, la réforme du secteur de secteur à travers une vision commune des acteurs », la stabilité sera un objectif lointain.
« (…) Les conséquences de l’ineffectivité du DDR sont nombreuses et maintiennent le pays dans une spirale de la violence dangereuse pour la cohésion sociale. Les groupes armés ont souvent des difficultés à entretenir leurs combattants. Dans des régions en très grande difficulté économique, la tentation est donc grande pour certains de recourir à des méthodes brutales contre les populations afin de subvenir à leurs besoins. », écrivait il y a quelques jours dans une analyse, Ibrahim Maïga, chercheur à l’Institut d’études de sécurité. « Les groupes armés djihadistes contribuent au phénomène de terrorisme, en en faisant une modalité de tractations, d’échanges, pour obtenir des moyens militaires, de la légitimité, le soutien du peuple, ajoute Dougoukolo Alpha Oumar Ba-Konaré, chercheur et président de l’Observatoire Peuls Kisal. Mais ils ne sont pas les seuls acteurs amplifiant le climat d’insécurité. L’Etat le fait aussi, par la violence produite sur les populations lorsqu’il ne parvient pas à les protéger. Les groupes armés produisent du sentiment d’insécurité par leur incapacité à protéger leurs zones et à ne pas être nuisibles à des communautés autres que les leurs. »
Organiser la présidentielle ou pas : le dilemme du gouvernement
Pourtant, l’année 2018 est cruciale au Mali en ce sens qu’elle abritera plusieurs scrutins locaux, régionaux et des élections communales partielles, prévus pour avril 2018, et qui précéderont la présidentielle. En novembre 2016, les communales partielles n’avaient pu se tenir dans certaines localités du centre et du nord à cause de l’insécurité. Nombreux sont ceux qui se demandent comment le gouvernement parviendra à organiser ces scrutins locaux, régionaux ainsi que les élections communales partielles, alors que les mêmes raisons qui ont prévalu à leur report demeurent toujours : le nord et le centre sont en proie à des attaques terroristes. Pour beaucoup, ces élections doivent se tenir pour ne pas servir à ajourner la présidentielle.
Le gouvernement malien se trouve dans un dilemme : aller ou ne pas aller à la présidentielle dans des conditions sécuritaires précaires. « L’insécurité crée des incertitudes sur les échéances électorales même si des élections imparfaites valent mieux que l’absence d’élections », estime Moussa Mara. En visite à Mopti, le 11 février, Soumeylou Boubèye Maïga, le nouveau Premier ministre, a garanti que le premier tour de l’élection aura lieu le 29 juillet 2018 : « S'il n'y a pas d'élection, personne n'aura de base juridique pour gouverner le Mali », a souligné le Premier ministre. « Il faut une table ronde qui réunit tous les acteurs pour trouver les conditions optimales d’aller à ces élections », conclut Ilad Ag Mohamed.