En Europe, la vague populiste n’a pas fini de déferler. En Europe centrale et orientale, des populistes aux relents xénophobes ont accédé au pouvoir en Pologne, en Hongrie, en Slovaquie et en Tchéquie. Ils ont fait de la défense de l’identité, le thème central de leur programme, tout comme l’extrême-droit autrichienne désormais au pouvoir, ainsi que l’AfD en Allemagne qui a réussi une percée électorale, et last but not least, le score faramineux de la Ligue du Nord de Matteo Salvini en Italie, un parti néofasciste passé de 4% en 2013 à 17% aujourd’hui, et devenu le leader de la coalition de droite qui a remporté les dernières élections. Et en France, Marine le Pen fut présente au second tour des élections présidentielles. Quant aux futures élections en Grèce, elles montreront sans doute la montée en puissance d’Aube dorée...
Objets de haine: les "mondialistes" et les migrants
Les raisons de la poussée de l’extrême droite et des mouvements populistes tiennent à la fois à l’accroissement des inégalités économiques, au sentiment d’insécurité provoqué par la globalisation néo-libérale et les peurs générées par la question migratoire, et l’effondrement de la social-démocratie européenne. Les élites traditionnelles sont perçues au mieux comme impuissantes, ou déconsidérées, l’Union européenne est vue comme un monstre bureaucratique qui empiète sur la souveraineté et l’indépendance nationale. L’idéologie de ces mouvements populistes se nourrit tant de la haine tant des « mondialistes », car ils sont vus comme des profiteurs sans foi ni loi, déconnectés de la légitimité que confère l’attachement au territoire, que de la haine des migrants dépeints à l’inverse comme des barbares aux coutumes archaïques. Indice inquiétant : la plupart des analyses pointent le fait qu’une partie significative et parfois majoritaire de la jeunesse dans certains pays est attirée par ces mouvements populistes. Dans ce prisme idéologique, la démocratie est déconsidérée, car tenue pour trop faible et inadaptée face aux enjeux du présent.
Ce sentiment de perte des repères identitaires, de délitement du tissu social et de déclassement du monde occidental, s’accompagne ailleurs de la montée d’hommes forts, dont Poutine et Erdogan en sont les figures emblématiques. Il est aussi révélateur que le président chinois s’est donné le luxe de réformer la constitution du pays pour demeurer au pouvoir aussi longtemps qu’il le souhaite, imitant en cela nombre de présidents africains. Devant la recrudescence des violations des droits de l’homme sur tous les continents dont a témoigné son rapport annuel, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme, Zeid Ra’ad Al Hussein, a décidé de ne pas briguer un second mandat, décision emblématique s’il en est.
Implications pour la justice transitionnelle
Ces évolutions inquiétantes sont lourdes d’implication pour la justice transitionnelle. Celle-ci était née dans l’après-chute du mur de Berlin dans un climat d’optimisme portée par la 3ème vague de démocratisation. Un quart de siècle plus tard, nous en sommes aux antipodes de cette brève ère d’optimisme post-1989. Les implications de cette régression démocratique pour la justice transitionnelle sont nombreuses. D’abord, parce que les gouvernements occidentaux, qui furent les défenseurs les plus constants de la diplomatie multilatérale et des droits de l’homme le sont moins que par le passé. Ce qui ne veut pas dire qu’ils aient été jadis toujours conséquents avec leur rhétorique. Selon la fameuse formule du président Roosevelt à l’égard du dictateur nicaraguayen : « He may be a son of a bitch, but he’s our son of a bitch ». Mais du moins, les pays occidentaux soutenaient avec vigueur le système de défense des droits de l’homme, ce qui n’est plus forcément vrai. Du reste, comment le pourraient-ils alors que ce sont des partisans de la torture qui tiennent désormais des postes-clefs au sein de l’administration Trump et certains gouvernements en Europe qui ne cachent pas leur xénophobie à l’égard des migrants ?
Autre implication pour la justice transitionnelle : le positionnement de l’administration Trump et la terrible faiblesse de l’Union européenne fournissent un alibi facile à la Russie pour s’opposer à toute résolution du Conseil de sécurité visant à limiter les bombardements indiscriminés contre les civils en Syrie, dont le nombre de victimes se comptent en plusieurs centaines de milliers. L’indifférence aux Conventions de Genève se retrouve dans la guerre du Yémen, devenu le théâtre de la plus grande crise humanitaire au monde. Ni en Afghanistan, ni au Yémen, ni en Syrie, les hôpitaux ne sont plus considérés comme des sanctuaires, au mépris du droit international humanitaire. Comment dès lors s’étonner si des despotes dans d’autres pays sentent que l’équation politique leur est favorable pour imposer leurs vues par tous les moyens ?
Dès lors, dans cette ère marquée par l’affaiblissement du système des droits de l’homme, les rares bouffées d’espoir viennent de sociétés elles-mêmes qui ont entamé des processus de transition démocratique comme la Gambie et la Tunisie. Cette période de crise constitue – peut-être – une ère d’opportunité, car elle offre les conditions pour élaborer de nouveaux modes de règlement de conflit. Nul ne sait si l’accord de paix subsistera en Colombie avec le résultat des dernières élections, mais de nouvelles formules avaient été élaborées dans l’articulation de la recherche simultanée de la paix et de la justice.