Après le Burundi, les Philippines ont décidé, le 16 mars, de se retirer du traité de Rome qui a créé la Cour Pénale Internationale. Dans les deux cas, la décision fait suite aux annonces de la procureure de la CPI d’ouvrir un examen préliminaire sur les crimes perpétrés dans leurs pays et par leurs responsables politiques. Des décisions qui s’inscrivent dans un contexte précis, sans rapport avec le bras de fer engagé par plusieurs Etats, de l’Union africaine notamment, avec la Cour. Au final, selon plusieurs experts, les menaces récurrentes d’Etats opposés à certaines décisions de la Cour l’invitent à faire plus, et surtout mieux.
Après le Burundi en 2016, les Philippines ont décidé de se retirer du traité fondateur de la Cour pénale internationale (CPI). A Bujumbura comme à Manille, la décision fait suite à l’annonce d’examens préliminaires par la procureure Fatou Bensouda. « Les Philippines disposent d’une législation propre réprimant les crimes commis à grande échelle », affirme Manille dans le courrier transmis à l’Onu le 17 mars, formalisant sa demande de retrait. Les Philippines avaient adhéré à la Cour en 2011. En octobre 2016 déjà, trois mois seulement après l’élection de Rodrigo Duterte sur la base d’un programme promettant d’éradiquer la drogue du pays, Fatou Bensouda avait mis en garde Manille, ne suscitant qu’une première réponse de défiance du président Philippin. Le 8 février 2018, la procureure annonçait l’ouverture d’un examen préliminaire – étape préalable à une éventuelle enquête – sur les crimes commis « dans le contexte de la campagne de guerre contre la drogue lancée par le gouvernement philippin », soulignant que depuis le 1e juillet 2016, « des milliers de personnes auraient été tuées car elles auraient illégalement consommé des drogues ou se seraient livrées au trafic de stupéfiants ». Selon les statistiques officielles, près de 4100 trafiquants et usagers ont été abattus par les forces de police. Trois fois plus selon les ONG. C’est dans ce contexte que le 17 mars, les Philippines formalisaient, après avoir menacé, leur retrait de la Cour. Deux jours plus tard, le président philippin durcissait ses accusations, espérant inciter d’autres Etats - parmi les 123 adhérents à la Cour - à le suivre en qualifiant la Cour d’organe « des idiots de blancs de l’UE [l’Union européenne]», destiné à « expier leurs péchés » de la colonisation. Mais la décision du président philippin résonne comme un aveu de culpabilité. C’est ce que dit en substance la Coalition des Philippines pour la CPI dans un communiqué, écrivant que « les espoirs et les rêves des Philippins pour demander des comptes à ceux qui violent des droits humains ne devraient pas être ébranlés par la peur d'un seul homme de rendre des comptes. »
Une course contre la montre
Dans un an, le retrait philippin sera effectif. Mais si d’ici là, la procureure décide d’ouvrir formellement une enquête, Manille sera légalement tenu de coopérer avec elle. Le retrait n’annule pas les actes judiciaires posés par la Cour. Les Philippines ne sortiront donc pas aisément gagnantes de leur retrait. Avant elles, le Burundi a perdu cette course contre la montre, en suscitant l’ouverture – in extremis - d’une enquête de la Cour en octobre 2017, accélérant ainsi la conclusion de l’examen préliminaire conduit par la procureure. La réaction brutale du président Rodrigo Duterte vis-à-vis de la Cour a sans doute aussi motivé la décision de Fatou Bensouda. De la Libye à l’Afrique du Sud, l’histoire de la Cour montre souvent qu’en respectant son Statut – c’est-à-dire en acceptant de dialoguer dans des procédures judiciaires ou devant son Assemblée - les Etats limitent les risques de décisions trop tranchées. Après la décision de Manille, le président de l’Assemblée des Etats parties, O-Gon Kwon, a invité les Philippines à rester et engager le dialogue, tandis que la Cour a encouragé les Philippines à rester dans « la famille de la CPI ». Des appels qui risquent forts de rester lettre morte. Le retrait porte un coup aux victimes et à la Cour. Cela « expose de nouveau les Philippins à d’éventuels crimes atroces sans permettre de recourir à la justice et la responsabilité. Malheureusement, ce mouvement est anti-peuple », estime le président de la Coalition des Philippines pour la CPI, Ray Paolo Santiago. « Les retraits portent malheureusement préjudice à la Cour » estime par ailleurs le professeur Morten Bergsmo, notamment tant qu’elle « dépend de l’engagement et de la coopération des Etats ». Pour le chercheur de l’université de Leiden, Sergey Vasiliev, « ce n’est pas le droit, mais la volonté politique de coopérer qui forme le principal obstacle » aux enquêtes de la Cour. Qu’elles décident ou non de se retirer, « les Philippines n'auraient probablement pas permis à la CPI d'avoir accès aux témoignages et aux preuves » et la Cour aurait du « enquêter à distance dans tous les cas, même si ce n’est évidemment pas le scénario idéal ». Le degré de coopération des Etats avec la Cour est une donnée variable, qui touche aussi ses membres les plus enthousiastes, quelles que soient les affaires engagées. De la République démocratique du Congo à la Côte d’Ivoire, elle dépend des intérêts propres à chacun d’entre eux et de ceux de leurs alliés.
Le retrait comme contre-menace
Motivé par les actes de la procureure, le retrait des Philippines « apparait moins menaçant pour la CPI » que les menaces proférées par de nombreux Etats de l’Union africaine depuis 2009, « et ne remet pas pour autant en cause ses pouvoirs » estime Sergey Vasiliev. « Au contraire", précise le chercheur, "cela pourrait finalement jouer en sa faveur en renforçant son image d’agent anti-impunité ». Les appels du président philippin ne présagent en rien d’un désengagement massif. L’existence de la Cour, en elle-même intimidante, a suscité une forme de contre-menace de la part d’Etat mécontents de ses décisions. Le bras de fer engagé par l’Union africaine avec la Cour depuis 2009 – enclenché par l’émission de mandats d’arrêt contre le président soudanais Omar El Béchir – et la menace d’un retrait massif, est devenue l’un des outils brandi par ceux qui s’opposent à certaines de ses décisions, à tort ou raison. La menace est tout à la fois brandie par ceux qui sur le fond conteste certains actes, comme l’Afrique du Sud, et ceux plus opportunistes, comme la Gambie, dont l’ancien président Yahya Jammeh avait enclenché le retrait, avant que son successeur à la tête de l’Etat, Adama Barrow, ne revienne dans le giron de la Cour. Que peut la Cour contre les retraits ? « En améliorant la réputation de qualité du travail de la Cour et de l'intégrité de ses dirigeants, la Cour et l'Assemblée des États Parties compliqueront le retrait des gouvernements, estime Morten Bergsmo. Une réputation solide offre une meilleure protection à la Cour. La qualité nourrit un cercle vertueux. » Pas toujours vertueuse, la Cour ? Ses adversaires utilisent à merci ses multiples errements, que ce soit la pauvreté de certains dossiers – comme celui du Kenya et d’autres -, le nombre de jugements rendus (sept en vingt ans d’existence), des choix de politiques pénales tendancieux, ou sa mauvaise gouvernance. Pour un Etat, « le coût politique d’une menace contre la Cour augmente lorsque la réputation de la Cour est forte, explique Morten Bergsmo. Sa vulnérabilité actuelle ne sera pas surmontée par la sensibilisation et les interventions d'ONG et de diplomates amis, mais par le bouclier d'une justice de qualité. » Pour Sergey Vasiliev. « En termes de rhétorique ou de pouvoir symbolique, la Cour ne peut se préserver que si elle agit et est perçue comme véritablement impartiale et fonctionne sans peur et sans faveur, y compris lorsque cela implique de remettre en question des hégémonies géopolitiques lorsque le mandat l'exige. »