Sept ans après la Révolution de Janvier 2011, les autorités tunisiennes continuent à interpeller, arrêter, condamner et mettre en prison des personnes sur la base de l’article 230 du Code pénal sanctionnent l’homosexualité. Cet article, qui date de l’époque coloniale, rend toujours passible de trois ans d’emprisonnement les personnes « pratiquant la sodomie et le lesbianisme ». A cause de cette disposition, les libertés fondamentales se heurtent encore à des notions, réflexes et considérations issues de la dictature qui autorisent à contrôler et infiltrer la vie privée des gens. Ces ingérences violent la dignité humaine et l’intégrité physique des hommes et des femmes, ouvrant la voie aux perquisitions, saisies des moyens de communications et à la pratique de l’examen anal, taxé par les ONG des droits de l’homme de « test de la honte ».
Dans ce cadre d’homophobie ambiante, la société civile tunisienne mène un travail continu pour assurer une prise en charge des personnes LGBTQI++ et des plaidoyers pour abroger des dispositions juridiques en contradiction avec la nouvelle constitution de 2014. Avec l’appui de l’Institut français de Tunis, les associations de défense des minorités sexuelles, telles que Chouf, Mawjoudin, Shams, Damj, l’Association tunisienne des libertés individuelles (ADLI)https://www.facebook.com/atpptn/ et l’Association tunisienne de prévention positive (ATP+) se sont réunies le week end dernier autour d’une manifestation mi - scientifique, mi - festive, intitulée « Couleurs d’Avril », dont l’objectif final est la dépénalisation de l’homosexualité. Etat de lieux et débats y ont été suivis de spectacles et de projections de films.
« Couleurs d’Avril » et droit à la différence
La pression menée par la société civile a commencé à donner ses premiers fruits en mai 2017 lors de la discussion du Rapport de la Tunisie devant le Conseil des Droits de l’Homme à Genève. La Tunisie, qui a été épinglée à ce moment- là par les Nations unies pour continuer à jeter en prison les personnes accusées d’homosexualité, a accepté de mettre un terme au test anal non consenti et de mettre en application deux des quatorze recommandations des d l’ONU touchant aux minorités LGBTQI++.
Toutefois, la pratique persiste, selon le juriste Wahid Ferchichi, membre d’ADL. « Toutes les arrestations ordonnées en 2017 fondées sur l’article 230 du Code pénal, y compris après l’examen périodique universel du Rapport tunisien, se sont soldées par des tests anaux », a relevé l’activiste à l’introduction de « Couleurs d’Avril ».
Pour une fois, les intervenants impliqués dans cet examen étaient présents au cours du débat sur le test anal : un magistrat et trois médecins légistes.
L’Ordre des médecins condamne l’examen anal
Ahmed Banasr, médecin légiste rappelle, lui, que le 3 avril 2017, le Conseil national de l’ordre des médecins a condamné fermement cette pratique. Dans un communiqué rendu public, l’ordre invite les médecins à respecter la dignité des personnes examinées conformément à l’article 23 de la Constitution et aux dispositions du Code de déontologie médicale.
Wahid Ferchichi relève : « Cette position de l’ordre, que nous avons saluée, reste toutefois inachevée et dépourvue de force contraignante. En l’absence de poursuites disciplinaires contre les praticiens effectuant cet examen, la décision de l’Ordre ressemble plutôt à une déclaration ou à un avis ».
« Nous sommes les maillons faibles dans cette affaire. Ces personnes ne doivent pas atterrir chez nous, qui sommes des auxiliaires de justice et sommes obligés à appliquer les réquisitoires du juge. Depuis 2016, beaucoup d’entre nous font tout pour expliquer aux patients qu’ils ont le droit de refuser le test. Mais, parfois, ce sont les patients eux-mêmes qui nous le demandent comme lorsque des prisonniers ou des enfants veulent prouver qu’ils ont subi un viol », réplique le Dr Banasr.
Sans le consentement l’examen est synonyme de torture
Revenant aux procédures encadrant l’application de l’article 230, le juge A.M. a insisté sur le « consentement éclairé » des personnes.
« Sans le principe du consentement, l’acte entre sous le registre de la contrainte et plus précisément de la torture. Le médecin, en tant qu’agent de l’Etat, est passible alors de huit ans de prison ferme », ajoute le magistrat.
Se référant à une jurisprudence établie depuis 2016, le magistrat assure que la présomption d’innocence est la règle en cette matière et le refus du test n’entrainant pas une inculpation automatique de la personne.
Diverses affaires précédentes, des rapports d’organisations humanitaires, dont Human Rights Watch (HRW) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT) et plusieurs témoignages émergés de la salle sont venus contredire ce que préconise le texte. La fameuse affaire des six jeunes étudiants de Kairouan (décembre 2015) est encore dans les esprits. Loin de toute flagrance et pourtant accusés de pratiques homosexuelles, les autorités leur font subir, dans une ambiance de violence et de terreur, des examens anaux. Le docteur Ines Mansour, psychiatre a reçu, elle, dans son cabinet un patient traumatisé pour avoir été insulté et humilié par le médecin légiste. Dans la bouche de ses patients ayant affronté ce test où la médecine est instrumentalisée pour faire pression, c’est de « viol » qu’il s’agit.
« Le pire des viols. Puisqu’il est exercé par une des institutions de l’Etat ! », résume Wahid Ferchichi.