Le réalisateur serbe Ognjen Glavonic s'attaque dans "Teret" ("La Charge") à un tabou dans son pays, les horreurs de la guerre du Kosovo, pour perpétuer la tradition du cinéma de l'ex-Yougoslavie à Cannes.
Présenté samedi à la Quinzaine des réalisateurs, ce long métrage suit Vlada, chauffeur de poids-lourd, qui, sur la route du Kosovo vers Belgrade, réalise la nature de son chargement: les corps de victimes de crimes de guerre commis par les forces serbes au Kosovo, la plupart civils, dont beaucoup de femmes et d'enfants.
Ces cadavres sont transportés en Serbie pour être inhumés dans des fosses communes et dissimuler la vérité sur le dernier des conflits dans l'ex-Yougoslavie. Cette guerre (1998-99) a fait quelque 13.000 morts, dont 11.000 Kosovars albanais et s'est achevée par les bombardements de l'Otan sur la Serbie.
En 2001, juste après la chute de Slobodan Milosevic, les autorités serbes avaient annoncé la découverte près de Belgrade des restes de 744 personnes, principalement des Albanais du Kosovo.
- 'L'épaisseur du mystère' -
Ce charnier est situé à une quinzaine de kilomètres du centre de Belgrade, dans un camp d'une unité spéciale de la police à Batajnica. Pour le voyageur de passage, ce nom n'est aujourd'hui qu'une sortie d'autoroute entre Belgrade et l'aéroport.
L'affaire est en grande mesure oubliée. Les revendications de ceux qui demandent l'érection d'un mémorial reçoivent moins d'écho que les appels à bâtir une église orthodoxe à proximité du site.
"J'ai entendu parler de la fosse commune à Batajnica en 2009. Personne ne savait rien sur cela. J'ai interrogé mes parents, ma famille, mes professeurs. Rien", confie à l'AFP Ognjen Glavonic, 33 ans qui étudie alors le cinéma à Belgrade.
C'est "l'épaisseur du mystère autour de cette affaire qui a éveillé ma volonté d'en parler", dit-il.
Il commence par un documentaire, "Profondeur 2", puis se lance dans son long métrage qui mettra sept années à voir le jour.
A sept reprises, dit-il, son scénario est rejeté par le Centre pour les films, une institution publique de financement: "Je crois que le thème explique pour partie ces rejets."
"C'est peut-être pour le mieux. Je suis plus mûr. Il y a sept ans cela n'aurait pas été le même film", reconnaît Glavonic. "Il m'a permis de parler de mon enfance, mais aussi de Belgrade aujourd'hui et de l'état de la société" serbe, précise le metteur en scène natif de Pancevo, petite ville de la grande banlieue belgradoise.
- Les doutes de Vlada -
"Nous découvrons le héros du film au moment où il comprend la nature de sa cargaison. Il comprend la vérité sur lui-même, sur le pays dans lequel il vit et sur la guerre", dit Glavonic. "Je voulais offrir au spectateur la possibilité de se mettre à sa place, de réfléchir à ce qu'il aurait fait", poursuit le cinéaste.
Les corps sont tenus à distance, c'est Vlada qui intéresse le réalisateur. "La guerre et l'horreur sont toujours présents mais au second plan", dit-il. Son objectif est que les Serbes d'aujourd'hui ressentent les doutes de Vlada.
Glavonic ne craint pas les réactions dans un pays que la question du Kosovo crispe encore et où ceux qui mettent en question l'action des autorités durant les années 1990 sont souvent qualifiés de traîtres par les nationalistes ou les tabloïds.
"Les gens craignent les médecins, les dentistes, comme les enfants craignent leur première piqûre, quelque chose qui au final leur fera du bien", dit Glavonic.
Quant aux extrémistes qui voudraient "traîner le film (...) dans leur boue politique", le metteur en scène estime que le film ne "les intéresse pas réellement".
Glavonic refuse de se comparer aux trois Palmes d'or de l'ex-Yougoslavie, les géants Denis Tanovic, Emir Kusturica ou Aleksandar Petrovic. "Je ne suis pas en compétition pour les prix", nuance-t-il.