Le magnat et homme politique béninois, Sébastien Germain Ajavon, une des plus grosses fortunes d’Afrique subsaharienne francophone, traîne son Etat devant la Cour africaine des droits de l’homme et des de peuples. L’homme d’affaires, qui était arrivé troisième à la dernière présidentielle, accuse le gouvernement de Patrice Talon d’avoir fabriqué des accusations de trafic de drogue contre lui dans le but de « bafouer son honneur et sa réputation ». L’Etat béninois rejette toutes les accusations. La Cour africaine doit encore fixer la date de son jugement.
C’est une audience marathon qui s’est déroulée jusque dans la soirée, le mercredi 9 mai au siège de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) à Arusha, dans le nord de la Tanzanie.
Selon les avocats de l’homme d’affaires, tout commence le 28 octobre 2016, au lendemain de l’élection présidentielle remportée par l’actuel chef de l’Etat, Patrice Talon. Sébastien Germain Ajavon, arrivé troisième avec 23 % des voix, est interpellé par les forces de l’ordre, accusé de trafic de drogue, après la découverte de 18 kilos de cocaïne dans un conteneur destiné à sa société d’importation au port de Cotonou. Faute de preuves, Ajavon sera relaxé dans cette affaire. Mais d’autres ennuis l’attendent. Le 21 novembre 2016, le service des douanes interdit aux sociétés du groupe Ajavon d’utiliser son terminal au port de Cotonou et l’administration fiscale lui ordonne de payer 167 milliards de francs CFA (soit 254 millions d’euros). Dans la foulée, la haute administration de l’audiovisuel ordonne la fermeture temporaire de sa radio, Soleil FM, et de la chaîne en continu Sikka TV, dont il est également propriétaire. Tout ce « harcèlement » a entraîné « une mort sociale d’Ajavon suite à une mort économique », selon les avocats du requérant, qui ont affirmé à l’audience que le chiffre d’affaires de leur client avait, en conséquence, chuté littéralement.
Ils ont mis en cause directement le président Talon lui-même, lui reprochant d’avoir violé le droit d’Ajavon à la présomption d’innocence, en le déclarant coupable, dès son arrestation, alors que la procédure était en cours. « Depuis le déclenchement de cette guerre totale à M. Sébastien Ajavon par le chef de l’Etat du Bénin et tout l’appareil administratif, le préjudice subi par le demandeur est incommensurable et multiforme. (…) Il a vu son honneur et sa réputation bafoués, ainsi que sa crédibilité économique détruite », a soutenu Me Yaya Pognon, l’un des quatre avocats mandatés par l’homme d’affaires. En guise de réparation, l’avocat a demandé à la Cour de condamner l’Etat béninois à payer des préjudices moraux et commerciaux et des dommages et intérêts à hauteur de 550 milliards de francs CFA (830 millions d'euros).
Ajavon a lancé fin mars son parti, l'Union sociale Libérale (USL), et a fait connaître ses ambitions pour le prochain scrutin, prévu en 2020.
"Demandes fantaisistes"
Pour leur part, les avocats d’Etat béninois ont d’abord demandé à la Cour de juger la requête irrecevable, la qualifiant de « frivole et abusive ». Ils ont en plus invoqué le non - épuisement des recours internes comme l’exigent les règles de procédure de la Cour, expliquant qu’il existe au Bénin « des mécanismes de protection des droits et des libertés » parmi lesquels la Cour constitutionnelle. Pour eux, Sébastien Ajavon aurait dû recourir à ces mécanismes internes avant de saisir la Cour africaine.
Concernant l’affaire de la cocaïne, ils ont expliqué que la police avait agi sur la base de renseignements selon lesquels un des conteneurs du requérant recelait des stupéfiants. « Le Bénin, étant devenu une plaque tournante des stupéfiants à un certain moment, il était dans l’intérêt du public et surtout de l’État de faire vite », ont-ils plaidé.
S’agissant de la violation du droit à la présomption d’innocence, les avocats de l’Etat béninois ont affirmé que l’intervention du président Talon était postérieure à la relaxe d’Ajavon.
Ils ont ensuite soutenu que l’homme d’affaires avait violé la loi nationale sur le fisc et que sa radio n'avait pas respecté la licence en émettant au-delà du périmètre qui lui avait été accordé.
Ils ont enfin qualifié de « fantaisistes » les demandes de réparations du requérant et demandé à Cour de le condamner « pour acte de malice et de mauvaise foi ».
L’affaire a été mise en délibéré devant la Cour présidée par le juge ivoirien Sylvain Oré. La date du jugement sera communiquée aux parties.
La CADHP peut "ordonner" à un Etat toute "mesure appropriée" pour mettre fin à une violation des droits de l'Homme et/ou le versement de compensations ou de réparations financières. Ses jugements, auxquels les Etats ayant ratifié le protocole créant la Cour s'engagent à se conformer, ne sont pas susceptibles d'appel.