Ouvert début mai, le procès en appel de deux anciens maires condamnés pour génocide dans la commune rurale de Kabarondo, dans l’est du Rwanda, se poursuit devant les Assises à Paris. Au cours de la semaine du 21 au 25 mai, le procureur a cité à l’appui de sa thèse des témoins condamnés au Rwanda pour leur rôle dans le génocide ainsi qu’un enquêteur français. Dans leurs dépositions, ils ont accusé les anciens maires Tito Barahira et Octavien Ngenzi d’avoir joué un rôle central dans les massacres de Tutsi le 13 avril 1994 à l’Eglise de Kabarondo. Des témoignages que la défense a qualifiés de « montages » et « affirmations gratuites ».
C’est un cousin de Barahira qui ouvre le défilé des témoins condamnés. Ancien responsable administratif local, il pèse ses mots. Comme s’il avait peur de s’accuser lui-même, lui fait remarquer la juge présidente Xavière Simeoni. Il évoque tout de même une rencontre le 13 avril 1994 avec son cousin et ex -maire, à la croisée de deux chemins. « Gardez cet endroit pour que des voleurs ne s’infiltrent pas », demande Barahira à un groupe de jeunes rencontrés à ce carrefour. Ce témoin, condamné par la justice de son pays à 19 ans de prison pour son rôle dans le génocide, finira par admettre que ces jeunes tenaient en fait un barrage routier. Après s’être adressé au groupe, Barahira poursuit sa route. Mais on apprendra, toujours selon le témoin, que des pillages avaient eu lieu en cet endroit, après le passage de l’ex-maire.
Quant au maire en titre pendant le génocide, Octavien Ngenzi, le témoin dit être allé, en sa qualité de « conseiller de secteur adjoint », le voir au bureau communal, pour l’alerter, car « la situation commençait à se détériorer ». Mais le maire Ngenzi n’a pas agi, accuse le témoin, affirmant qu’il ne reverra les deux accusés que de l’autre côté de la frontière, dans un camp de réfugiés en Tanzanie.
Quatre autres témoins condamnés pour leur rôle dans le génocide à Kabarondo seront entendus. Prenant soin, à l’instar du premier, de ne pas s’accuser eux-mêmes. Une constante cependant se dégage de leurs dépositions : Tito Barahira a convoqué et dirigé une réunion d’appel à « assurer la sécurité », le 13 avril 1994. « Assurer la sécurité » voulait bien dire « tuer les Tutsi », selon ces témoins, qui ont ajouté que cette réunion avait été directement suivie de massacres.
Pour ce qui est de Ngenzi, un seul témoin, Samuel Nsengiyumva, a raconté avoir vu passer sa voiture sur la route macadamisée, appelant à ne pas avoir peur si on entendait beaucoup de bruit, une allusion, selon la déposition, aux massacres du 13 avril à l’église catholique de Kabarondo.
Les déplacements de Ngenzi
La Cour a par ailleurs entendu un enquêteur français, le lieutenant Olivier Griffoul. Ce dernier a dirigé une unité de recherches au Rwanda de 2006 à 2014 dans le cadre des enquêtes du Pôle génocide et crimes contre l’humanité. Selon ce lieutenant, qui a séjourné plusieurs fois au Rwanda, des tueries ont eu lieu assez vite dans les cellules environnantes de Kabarondo, au lendemain de l’attentat contre l’avion du président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994. Les Tutsi cherchent refuge à l’église, un lieu traditionnellement considéré comme un havre de paix. Mais la « maison de Dieu » est attaquée le 13 avril 1994, alors que s’y trouvent terrées entre 2000 et 3000 personnes. Les événements s’accélèrent avec les massacres de l’église, du Centre de Santé et du centre d’alphabétisation, des structures situées toutes aux abords du bureau communal. Selon le lieutenant Olivier Griffoul, Ngenzi va peu à peu prendre conscience que les Hutu ne répondent pas en masse à l’appel pour aller tuer. Et le témoin d’évoquer divers déplacements du maire, vers le chef-lieu de la préfecture, à Kibungo, notamment pour chercher des renforts.
Et Barahira? Il avait des activités en périphérie de Kabarondo, selon l’enquêteur. Ex- maire, qui a la responsabilité des miliciens Interahamwe de Kabarondo dès 1991, il a gardé une certaine autorité, dont il a d’ailleurs usé pour appeler au meurtre des Tutsi. C’était un leader charismatique, résume le lieutenant.
Cela s’appelle « techniquer »
Pour la défense, les dépositions de ces témoins condamnés sont montées de toutes pièces et les affirmations de l’enquêteur simplement gratuites. « On m’a rapporté, on m’a dit, je n’ai pas vu… », raille Maître Benjamin Chouai pour la défense de Ngenzi. Puis l’avocat fait remarquer que son client « n’avait pas d’arme ! ». « Qu’attendre d’un homme désarmé ? », interroge-t-il, avant de suggérer que même s’il avait été armé, Ngenzi n’aurait rien pu face à des tueurs aguerris et lourdement armés venus du chef-lieu de la préfecture. « Ngenzi n’avait pas besoin d’une arme pour affirmer son autorité ! », répond le lieutenant Griffoul.
Quand Ngenzi prend lui-même la parole devant la Cour, il qualifie de « montages » les accusations portées contre lui. Pour lui, l’abbé Oreste Incimatata, qui était chargé de la paroisse Kabarondo, à l’époque des faits, est le principal architecte de ces « montages ». S’agissant des témoins condamnés, il affirme qu’ils veulent se racheter aux yeux du Front patriotique rwandais (FPR) au pouvoir depuis juillet 1994. Au Rwanda, cela s’appelle « techniquer », un néologisme pour dire « fabriquer », conclut l’ex- maire, accusant l’actuel gouvernement de créer un fossé entre ses administrés Hutu et Tutsi.
Les témoignages sur le massacre de l’église de Kabarondo se poursuivent avec notamment les auditions de l’épouse et du fils de Ngenzi, cités par la défense, et de l’ancien curé de la paroisse, pour l’accusation.