Le procès des « sympathisants du Hezbollah » arrive à son terme. L’avant dernier témoin de ce qui reste l’unique procès organisé devant le Tribunal spécial pour le Liban a commencé à déposer mardi 5 juin. L’ex directeur de la Sureté générale du Liban, Jamil Al-Sayed, a réveillé les fantômes passés d’une enquête controversée et assuré que ni la Syrie, ni le Hezbollah, n’avaient intérêts à éliminer l’ex premier ministre libanais, Rafic Hariri.
Jamil Al-Sayed aurait pu déposer depuis le box des accusés du Tribunal spécial pour le Liban (TSL). C’est à la barre des témoins que l’ancien directeur de la Sureté générale du Liban s’est présenté, mardi 5 juin, réveillant les fantômes d’une enquête controversée. Comme trois autres généraux libanais, réputés pro-syriens, le général Al-Sayed a passé près de quatre ans en prison, d’août 2005 à mai 2009, à la demande du chef de la Commission d’enquête internationale créée par l’Onu au lendemain de l’attentat contre l’ex premier ministre Rafic Hariri, le 14 février 2005, au cœur de Beyrouth. Cette Commission avait précédé la création du Tribunal, issu d’un accord entre l’Onu et le gouvernement libanais. Le premier acte des juges avait été, en avril 2009, d’ordonner la mise en libération des quatre officiers, incarcérés sans charges. Comme pour détendre l’atmosphère, mardi 5 juin, le président de la chambre de première instance, David Ré, a « planté le décor » en commençant par congratuler l’accusé pour sa victoire aux élections législatives libanaises début mai. Les juges avaient bien tenté d’écarter ce témoignage, interrogeant sans relâche les avocats sur l’intérêt d’une telle déposition qui pour le tribunal aurait pu s’avérer sulfureuse. David Ré a donc d’entrée tenté de déminer le terrain en évoquant l’absence de professionnalisme des premiers enquêteurs – qui sous la coupe du juge allemand Detlev Mehlis avaient fait incarcérer le témoin. Puis curieusement, le juge néo-zélandais lui a rappelé les règles du « jeu » : le procureur pourrait utiliser d’autres délits pour lesquels il aurait été impliqué. « Je suis fier de mon histoire ! » a rétorqué Jamil Al-Sayed. « Ils ont travaillé d’arrache-pied pour me faire condamner. J’étais détenu par mes ennemis, ils ont échoué ».
Le témoin dédouane la Syrie
La déposition de Jamil Al-Sayed est l’avant-dernière du procès de cinq « sympathisants du Hezbollah », ouvert en janvier 2014. Selon le procureur, Moustafa Badreddine et Salim Ayache, deux cadres du Hezbollah, auraient coordonné les opérations et organisé la surveillance de Rafic Hariri quatre mois avant sa mort. Quant à Hussein Oneissi et Hassan Sabra, ils auraient préparé une fausse revendication destinée à brouiller les pistes. Un cinquième accusé, Hassan Merhi, a été par la suite joint à l’affaire. Mais faute d’arrestation, les accusés sont jugés in absentia. Et l’accusé clé, celui de l’ex chef militaire du Hezbollah, Moustafa Badreddine, est désormais clôt suite à son décès en 2016 dans des combats proches de Damas. Selon les témoins du procureur, Rafic Hariri aurait été éliminé pour avoir voulu mettre en œuvre la résolution 1559 de l’Onu, qui demandait le désarmement du Hezbollah et visait un retrait de la Syrie, qui exerce alors une forme de tutelle sur le Liban depuis la fin de la guerre civile en 1989. Mais pour le témoin, appelé à la barre par les avocats d’Hussein Oneissi, ni la Syrie, ni le Hezbollah, n’auraient eu intérêt à son élimination sous 1200 tonnes de TNT planté au coeur de Beyrouth, et faisant 22 morts et 226 blessés. Qui plus est, rappelle-t-il, son assassinat a conduit au retrait des Syriens, pointé du doigt dans l’attentat, par l’opposition qui manifeste en masse, et les Occidentaux. Sans l’aval syrien, Rafic Hariri n’aurait pas pu rester pendant six ans Premier ministre, assure encore le témoin sous les questions de maître Courcelle-Labrousse, l’avocat d’Hussein Oneissi. « Grace à son amitié avec la Syrie », l’homme d’affaires sunnite a pu créer Solidère - sa société immobilière - et a pu contrôler Beyrouth.
Une scène de crime polluée
La déposition de Jamil Al-Sayed vise aussi à discréditer l’enquête du procureur. « Pour le crime qui nous préoccupe, nous n’avons pas pu dévoiler la vérité », regrette l’officier libanais. Il assure avoir mis à jours les six lignes de téléphones portables qui forment aujourd’hui le cœur de la preuve de l’accusation. Mais, l’interpelle le juge David Ré, quelques heures seulement après l’explosion, le cratère a été comblé, et les véhicules retirés du site. « Ca pollue l’intégrité de la scène de crime. C’est extraordinaire d’agir ainsi, non ? » De petites erreurs, pour le témoin, qui dénonce alors la Commission d’enquête. « J’ai refusé de porter un faux témoignage. Et ils se sont retournés contre moi » dit-il. Et il raconte. « L’officier des renseignements allemands en poste au Liban m’a dit que l’équipe d’enquête voulait venir chez moi ». Le 31 mai 2005, ils sont reçus à son domicile. « Ils m’ont demandé de transmettre un message à Assad [Bachar el Assad, président syrien]. De lui dire de constituer une contre-enquête syrienne, avec des juges syriens, qui choisiront une victime de poids comme Rostom Ghazale », alors chef du renseignement militaire syrien au Liban. Selon le scénario qu’évoque le témoin, la victime en question devra admettre l’assassinat de l’ex Premier ministre, « sur la base d’un désaccord financier », puis être « tuée dans un accident de voiture (…) Ensuite, nous aurons un accord avec Assad du type de celui de Lockerbie. Je lui ai dit ‘avez-vous des preuves selon lesquelles la Syrie a participé à ce crime ?’ » Quelques jours plus tard, Gerhard Lehmann rencontre de nouveau le témoin. « Il m’a dit : ‘nous avons des témoins. Pensez à votre avenir. Passez du bon côté de l’histoire. Choisissez quelqu’un, un officier syrien (…) Trouve une victime, sinon ce sera toi’ ». Jamil al-Sayed refuse. A la barre, le député précise : « Si la Syrie est criminelle, il faut que la Syrie paie le prix et c’est ce que j’ai dit à Mehlis [juge alors en charge de la Commission d’enquête internationale]. Je suis d’accord sur le plan politique [avec le régime syrien], pas sur le plan criminel » dit-il. Le 30 août, Jamil Al-Sayed et les trois généraux en charge de l’appareil sécuritaire libanais sont arrêtés. « J’ai dit à Lehmann, ‘lorsque je regarde vos yeux vitreux, je me rends compte qu’Hitler est toujours vivant.’ » La déposition de l’officier doit se poursuivre jusqu’au 7 juin.
A ce jour, le bilan du Tribunal pour le Liban est maigre : une erreur judiciaire, quatre accusés jugés in absentia, le cinquième mort au combat en Syrie, la condamnation d’un journal - Al Akhbar – pour avoir publié une liste de témoins… Au final, et treize ans après l’attentat, le nom de ses commanditaires reste inconnu. Quant aux enquêtes connexes qui visent les attentats perpétrés contre de nombreux députés au début des années 2000, et dont le procureur devait aussi se charger, aucun dossier n’est prêt.