Après la date butoir du 31 mai, censée d’après les autorités signer la fin du mandat l’Instance vérité et dignité (IVD), la commission vérité poursuit ses travaux dans une ambiance de calme prudent.
Lors de sa longue et mémorable session du 26 mars dernier, l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) votait contre la décision de l’Instance vérité et dignité (IVD) de proroger son mandat -censé s’achever à la fin mai- de sept mois, soit jusqu’au 31 décembre 2018. La commission vérité continue à affirmer que l’article 18 de la Loi relative à la justice transitionnelle, l’autorise seule, à prolonger la durée de son fonctionnement d’un an quitte à présenter une décision motivée au Parlement trois mois avant la clôture de ses travaux. Après la date butoir du 31 mai, l’Instance présidée par Sihem Bensedrine continue à fonctionner dans une ambiance de calme prudent. Jour après jour, elle procède à ses investigations des graves crimes des droits de l’homme et transfère ses dossiers judiciaires instruits aux chambres pénales spécialisées sans grand bruit, en toute discrétion.
« Tout se déroule bien du côté des juges des chambres spécialisées. Son acception des dossiers confirme un accord préalable et un rapport fluide de l’Instance avec le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et vient démentir une de nos plus grosses craintes, que tout cet effort d’investigation soit suspendu brutalement », témoigne le directeur à Tunis du bureau d’Avocats sans frontières (ASF), une ONG très engagée dans le processus de justice transitionnelle.
Aujourd’hui, l’Instance continue à élaborer son rapport final et à mettre les dernières touches à son plan global de réparations. Entre temps, l’IVD a libéré depuis le premier de ce mois des dizaines de ses agents contractuels et fermé tous ses bureaux régionaux. Une manière également de rassurer les autorités sur ses sérieuses intentions de clore son mandat bientôt.
A part l’annonce le premier juin de Mabrouk Korchid, ministre des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières, que son ministère mettait fin à sa collaboration avec l’Instance conformément à la décision du parlement ajoutant quelques jour plus tard qu’il venait d’adresser un courrier à l'IVD l’invitant à remettre ses dossiers à son cabinet, aucune offensive n’émane jusqu’ici des autorités à l’encontre de l’Instance. C’est comme si on observait une trêve de part et d’autre… Les pressions internationales y sont pour beaucoup. Parmi les quelles peut-on citer la lettre adressée le 30 avril par Pablo de Greiff, rapporteur spécial sur la promotion de la vérité, de la justice, de la réparation et des garanties de non-répétition, au gouvernement tunisien où il consignait ses « Observations et recommandations sur les évènements récents concernant l’Instance Vérité et Dignité ».
Un communiqué conjoint ambigu
Probablement à la suite du courrier de Pablo de Greiff, le 24 mai, (9 jours avant la date butoir) l’IVD signait un communiqué conjoint avec le ministère chargé des Relations avec les Instances Constitutionnelles et la Société Civile. Il y était question de l’engagement du gouvernement à assurer le parachèvement des travaux de l’Instance conformément aux principes de la loi relative à la justice transitionnelle. Selon quelle date ? Aucun délai n’était spécifié dans le texte.
Si Sihem Bensedrine, la présidente de l’IVD y décèle un bon signe : « Une issue qu’ a trouvée le gouvernement pour contourner la pression du Parlement et surtout de Carthage[ la présidence de la République] », affirme-t-elle optimiste dans une interview donnée le 28 mai à RTCI, la Chaine francophone tunisienne, tous les activistes de la société civile proches de l’Instance ne voient pas cette ambigüité flagrante dans le communiqué d’un bon œil.
Bassem Trifi, membre du bureau de la Ligue tunisienne des droits de l’homme (LTDH) parait franchement inquiet de ce flou volontaire ainsi que des déclarations de Mabrouk Korchid : « Des propos qui doivent être pris au sérieux, car émanant du gouvernement ».
Antonio Manganella, directeur du bureau d’Avocats sans frontières (ASF) réplique : « Les figures qui siègent à la tête de l’Etat sont loin d’avoir une position commune sur cette question. Il faudra jouer sur cette dissonance pour continuer notre mobilisation contre l’arrêt prématuré des travaux de l’IVD ».
Mission de groupe aux Nations Unies
Avocats sans frontières fait partie de la coalition d’organisations de droits humains tunisiennes et étrangères créée le 7 avril pour mettre la pression sur les autorités afin qu’elles lâchent du lest et ne s’opposent pas par la force à la poursuite des travaux de l’IVD jusqu’au 31 décembre. La coalition formée de près de trente ONG se réunit régulièrement depuis deux mois. Elle a procédé à un lobbying auprès du bureau des Nations Unies en Tunisie, du Haut commissariat des Droits de l’Homme ainsi que de l’Union européenne. Ses contacts avec l’IVD sont également ininterrompus. Ce travail de médiation et ce nouveau pacte de la société civile avec l’IVD semblent, selon Antonio Manganella, avoir donné leurs fruits.
« La cohésion actuelle entre les membres de la commission vérité, qui s’entredéchiraient jusqu'à il y a quelques mois, saute aux yeux. Motivés par la volonté de terminer leurs travaux, ils travaillent dans une conscience aigue de l’urgence de leurs taches. D’autre part, jamais un tel rapprochement entre la société civile et l’IVD n’a été aussi total ».
Une délégation de six personnes de la Coalition formée de membres de la Ligue tunisienne des droits de l’homme, de l’Association des Magistrats Tunisiens (AMT) et du groupe Manich Msamah (Je ne pardonnerai pas) s’apprête à partir à Genève pour organiser un side event ce jeudi 21 juin au Palais des Nations. Elle rencontrera à l’occasion de la tenue de la trente huitième session du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies de hauts fonctionnaires de l’organisation onusienne et différents diplomates.
Bassem Trifi fait partie du groupe en partance vers Genève. Il révèle le message que va porter la coalition auprès des Nations Unies : « Nous allons, selon notre communiqué du 7 avril, exprimer notre opposition à l’interruption des travaux de l’IVD et revendiquer la poursuite du processus de justice transitionnelle jusqu'à la dernière étape », insiste le militant des droits d l’homme.