Au procès en appel de deux ex-bourgmestres rwandais condamnés en France pour crimes de génocide dans leur pays d’origine, les témoignages se font de plus en plus accablants pour l’un d’entre eux, Octavien Ngenzi. Fidèle à une ligne défense développée dès le procès en première instance, celui qui était bourgmestre en titre de Kabarondo, au moment des faits, continue de dénoncer une manipulation savamment orchestrée par Kigali pour diaboliser les responsables de l’ancien régime. Les auditions entrent dans leur dernière phase et l’arrêt est attendu début juillet.
Kabarondo, c’est, en avril 1994, le chef - lieu d’une commune rurale de l’est du Rwanda, au bord de la route reliant le petit pays des mille collines à son vaste voisin, la Tanzanie. A cette époque, la commune est dirigée par Octavien Ngenzi, qui a succédé à Tito Barahira. Mais Kabarondo, c’est aussi le nom de l’église catholique paroissiale de l’endroit, d’un terrain où les jeunes ont l’habitude de se retrouver pour jouer au football, un marché où les agriculteurs viennent vendre leurs régimes de bananes et leurs haricots. Kabarondo, au moment des faits, c’est aussi une formation sanitaire où sont dispensés des soins de base et un Centre communal de développement et de formation permanente (CCDFP) dit « IGA » moins fréquenté par les hommes que par les femmes qui y reçoivent surtout des conseils en matière de planification familiale.
Ngenzi « donneur d’ordres »
Dès l’annonce de l’attentat contre l’avion du président hutu Juvénal Habyarimana, dans la soirée du 6 avril 1994, des Tutsis, venus d’eux-mêmes ou sur conseil du bourgmestre en titre Octavien Ngenzi, cherchent refuge dans l’église. Le 12 avril 1994, ce sont en tout près de 3.500 personnes. Le lendemain, dans la matinée, des miliciens renforcés par des militaires de l’armée régulière, attaquent la « maison de Dieu », dont ils défoncent les portes. Selon des témoins cités par le procureur, Octavien Ngenzi et son prédécesseur Tito Barahira, encadrent, supervisent, donnent des ordres. Selon d’autres dépositions, Barahira en personne tue, et, avec Ngenzi, ordonne d’achever les blessés. « C’est un mensonge, c’est de la manipulation », réplique Ngenzi, dénonçant une campagne orchestrée pour le salir. « Parce que j’étais bourgmestre », explique-t-il. Poursuivant sa défense, Ngenzi affirme s’être rendu personnellement en différents lieux de massacres, « non pas pour tuer », comme l’allèguent les témoins du procureur, « mais pour tenter de sauver » des gens. Sans succès, dira-t-il, expliquant qu’il était impuissant face aux tueurs. « Pour tenter de sauver ! », s’étonne Emmanuel Bizimana, alias Cyasa, un tueur de renom, dont la simple évocation fait encore frissonner les gens de la région. Au Centre de formation permanente, « Ngenzi a placé les Tutsis face au mur et ordonné de les exécuter. Ils ont tous été fusillés », enfonce Cyasa, condamné à la perpétuité pour son rôle dans le génocide. Selon ce chef milicien qui affirme qu’il avait son QG au camp militaire local depuis le 6 avril 1994, c’est d’ailleurs Ngenzi en personne qui est allé requérir des renforts de militaires pour épauler les tueurs civils de sa commune.
"Manipulation" ?
Pour l’ex-bourgmestre, tout cela n’est que « manipulation, justice du vainqueur ». Ce que nie Cyasa. « J’ai été déjà condamné. Mais j’ai été tellement affecté par le mal que nous avons infligé aux Tutsis que je ne peux cacher tous ceux qui y ont pris part ». Un autre milicien, Nzigiyimana alias Kajisho, qui avoue s’être illustré, dans les tueries au Centre de santé et au Centre de formation permanente, viendra évoquer un Ngenzi, « donneur d’ordres ». Sans oublier un ancien directeur d’école et « parrain » de Ngenzi, qui affirmera avoir vu son filleul de bourgmestre fouiller des maisons à la recherche de Tutsis à tuer. Le témoin soulignera que son propre domicile a été fouillé par Ngenzi. « J’essayais de sauver des gens », proteste l’ex-bourgmestre, dont la défense n’a de cesse de faire valoir le manque de crédibilité de témoins condamnés et de relever des contradictions entre certains témoignages à charge.
A l’appui de cette thèse de la manipulation, la défense fera venir à la barre l’ancien bourgmestre de Mabanza, Ignace Bagirishema, acquitté par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR). « Les bourgmestres n’avaient aucune autorité » pendant le génocide, affirme l’ancien responsable administratif, qui vit aujourd’hui en France où il travaille comme agent de sécurité. Pour lui, ces gravissimes accusations sont « inventées » par l’actuel régime du Front patriotique rwandais (FPR) « pour éliminer les ex-dirigeants et des opposants potentiels ». Saisissant la balle au bond, Me Benjamin Chouai, l’un des avocats de Ngenzi, affirme que Bagirishema doit son acquittement à un transport sur les lieux pour des faits allégués dans son procès.
Arrêt attendu le 6 juillet
A défaut d’un transport sur les lieux, dans la présente affaire, « le parquet général a le devoir de faire venir les témoins cités par la défense », renchérit Maître Alexandra Bourgeot, pour la défense de Barahira. L’avocate réitère sa requête d'ordonner la comparution du ministre rwandais de la Défense, le général James Kabarebe, et de l’ex-patron des renseignements, le général à la retraite Jack Nziza. Pour Me Bourgeot, ce sont « des témoins essentiels », dont « l’audition est indispensable pour la manifestation de la vérité », notamment sur l’attentat contre l’avion du président Habyarimana, présenté comme l’élément déclencheur du génocide. « Une mauvaise distraction (par rapport) aux questions qui nous concernent », réagit Me Michel Laval, avocat des parties civiles. La Cour ne s'est encore prononcée sur cette nouvelle requête lors que le jugement d'appel devrait tomber le 6 juillet prochain. Le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR), à l'origine de ce procès, a, d'ores-et-déjà indiqué qu'il serait étonné que les juges d'appel infirment les conclusions de leurs confrères du premier degré. Pour leur part, les avocats de la défense disent espérer "un acquittement total ".