Cette proposition de loi provoque d’ores et déjà un tollé au sein de l’opinion. Si les uns qualifient cette proposition de loi d’un signal d’une volonté d’alternance pacifique dans le chef du camp présidentiel, d’autres redoutent que le texte soit taillé sur mesure de Joseph Kabila pour garantir l’impunité à un président dont la gouvernance a aussi été émaillée des scènes de crimes. Au cours de cette session spéciale, le chef de l’Etat doit prononcer un discours très attendu à cette veille de dépôt des candidatures à l’élection présidentielle à laquelle M. Joseph Kabila est censé ne pas se présenter en raisons des règles constitutionnelles du pays.
Contexte
Cette proposition de loi portant «statut des anciens présidents de la République élus», datant de 2015, est une initiative du sénateur Modeste Mutinga, alors vice-président du Mouvement social pour le renouveau (MSR), l’un des partis du G7, une plate forme de sept partis politiques qui venaient de claquer la porte de la Majorité présidentielle pour soutenir la candidature de Moise Katumbi, l’ex-gouverneur de la riche province du Katanga à la future présidentielle. En initiant cette loi, il voulait encourager le président Joseph Kabila, arrivé au terme de son second mandat constitutionnel, à ne plus se présenter à la future présidentielle, comme le lui «interdit l’actuelle constitution» du pays. «Nous lui avions écrit que s’il avait besoin des garanties supplementaires pour sa sécurité civique et juridique, cette loi pouvait lui aider à bénéficier de certains privilèges ou immunités au cas où il ne sera plus président», se rappelle M. Nzangi Muhindo Butondo, député national et collègue du sénateur Modeste Mutinga au G7. D’après le député Nzangi Muhindo Butondo, en cette époque, en 2015 notamment, personne du camp Kabila n’avait compris l’importance de cette loi, «car ils tenaient à tout prix à maintenir leur champion au pouvoir». Près de trois ans après, d’après nos sources, l’examen du texte aurait reçu un feu vert de la présidence. Ce qui est interprété par Jonas Tshombela, président national du Forum pour la démocratie et la bonne gouvernance et coordonnateur de la Nouvelle société civile congolaise, comme «un signal d’une volonté d’alternance pacifique au sommet d’Etat».
Que prévoit ce texte de loi ?
Pour le moment, cette proposition de loi portant sur le statut des anciens présidents de la République élus est en cours d’examen au Senat, la chambre haute du parlement congolais, où une commission spéciale vient d’être constituée pour l’apprécier. «Après son appréciation par la commission spéciale, celle-ci la présentera aux sénateurs. S’e suivra son examen par les collègues députés. On attend donc que cette loi soit adoptée (au parlement, Ndlr) et promulguée (par le chef de l’Etat, Ndlr), pour qu’on la commente», a précisé à Justiceinfo.net, l’initiateur de cette proposition de loi, le sénateur Modeste Mutinga, qui s’est réservé d’en dévoiler l’économie. Toutefois, son collègue Nzangi Muhindo Butondo signale que le texte devra compléter la constitution qui prévoit que les anciens chefs de l’Etat sont sénateurs à vie, avec des dispositions sur les ressources, leur sécurité personnelle et leur statut juridique. «Cette loi prévoit qu’en dehors de la présidence, un ancien chef de l’Etat ne sera pas poursuivi comme un type ordinaire, il devra jouir de certains privilèges ou immunités, il devra bénéficier d’une sécurité rapprochée», indique l’élu du Nord-Kivu. En soit, l’avocat congolais Jean Paul Lumbu Lumbu, également président national du Parti libéral pour le développement (PLD), soutient que cette proposition de loi est une initiative louable sur le plan politique et juridique. «Sur le plan politique c’est une loi qui va garantir la survie des anciens présidents qui auront bien fait leur travail. La république doit être reconnaissante de leurs actions. Non seulement il y a la constitution qui leur garantit le statut de sénateur en vie, mais aussi il va y avoir une loi spécifique qui renforce leur honorabilité, au tant de garanties pour une alternance pacifique. Sur le plan juridique, c’est une première dans l’arsenal juridique congolais qu’on ait une loi qui garantit la survie des anciens chefs de l’Etat», se félicite-t-il.
Louable, mais pas un gage d’impunité!
Joseph Kabila, 47 ans, est à ce jour le seul concerné par cette proposition de loi, car tous les anciens présidents congolais sont déjà morts (Joseph Kasa-Vubu, Mobutu Sese Seko, Laurent –Desiré Kabila). Ainsi, d’aucuns redoutent que cette nouvelle loi soit taillée sur mesure du chef de l’Etat Joseph Kabila pour garantir l’impunité à un président dont la gouvernance a aussi était émaillée des scènes de crimes économiques et crimes contre l’humanité dans plusieurs coins du pays, notamment en Ituri, à Béni, au Kasai et au Katanga. «Nous sommes tentés de croire que Joseph Kabila a compris qu’il a épuisé tous ses moyens pour tenter de se maintenir au pouvoir. Et avant de lâcher, lorsqu’il passe en revue sa gouvernance, il comprend qu’elle aussi était émaillée des crimes économiques et crimes contre l’humanité. Ainsi, en demandant l’examen de cette loi portant statut des anciens présidents, il chercherait une voie de sortie pouvant l’exempter de toute poursuite, lorsqu’il ne sera plus président», analyse l’avocat congolais Djimmy Peruzi. Son confrère avocat Jean Paul Lumbu Lumbu est catégorique : «cette loi ne doit pas être un gage de l’impunité. Cela ne veut pas dire qu’elle vient couvrir les crimes commis par un chef d’Etat en fonction, parce que nous n’accepteront pas que cette loi viennent anéantir les efforts de poursuite à l’encontre des auteurs des crimes graves». Se confiant à Justiceinfo.net, l’l’initiateur de cette proposition de loi, le sénateur Modeste Mutinga rassure : «cette loi portant statut des anciens présidents de la République élus ne vient pas consacrer l’impunité». «C’est vrai, elle ne vient pas consacrer l’impunité. Elle va seulement garantir qu’en dehors de la présidence qu’un ancien chef de l’Etat ne sera pas traité comme un homme ordinaire et qu’il ne fera pas objet de tracasserie. Mais s’il s’avère qu’il a trempé dans la commission des graves crimes économiques et internationaux, il sera poursuivi», explique son collègue du G7, le député national Nzangi Muhindo Butondo. « Toutefois, nous croyons que c’est important que les garanties des privilèges ou immunités soient un prix à payer pour une alternance pacifique au Congo, parce qu’actuellement nous sommes devant deux choix : soit continuer dans la situation actuelle de pourriture, soit donner des garanties au chef de l’Etat à même de nous conduire au changement», se justifie-t-il. M. Jonas Tshombela appelle donc les parlementaires à la prudence, la sagesse et la bonne conscience, pour qu’en examinant cette proposition de loi, ils parviennent à concilier la protection des anciens chefs de l’Etat, la lutte contre l’impunité et la justice. «Cette loi doit s’inscrire dans la logique de l’instauration d’un Etat de droit au Congo. Elle doit donc être impersonnelle, et non taillée sur la mesure d’une seule personne. Son examen exige donc une gymnastique sérieuse pour parvenir à concilier la protection des anciens chefs de l’Etat, la lutte contre l’impunité et la justice. Et si tel est le cas, elle pourra contribuer à la justice, la réconciliation et à la paix», conseille le président national du Forum pour la démocratie et la bonne gouvernance et coordonnateur de la Nouvelle société civile congolaise.