L'ex-champion de cricket et homme politique Imran Khan revendique la victoire de son parti aux élections législatives au Pakistan, marquées par un climat très tendu et des accusations de fraude, et dont les résultats se font toujours attendre.
"Nous avons réussi. On nous a donné un mandat", a déclaré jeudi Imran Khan lors d'une intervention télévisée en direct depuis son quartier général de Bani Gala, à quelques kilomètres d'Islamabad.
Les résultats officiels du scrutin de mercredi n'avaient pas encore été communiqués dans la soirée de jeudi par la Commission électorale pakistanaise (ECP). Ils devraient l'être dans les 24 heures, a-t-elle indiqué.
Malgré cela, des centaines de ses partisans, souvent jeunes, avaient célébré dès mercredi soir sa victoire attendue en dansant et chantant dans les rues. Imran Khan "a motivé la jeunesse", s'enthousiasmait Fahad Hussain, 21 ans.
M. Khan, qui a promis l'avènement d'un "nouveau Pakistan", est soupçonné d'avoir bénéficié de l'appui en sous-main de la puissante armée dans sa quête du pouvoir.
Les projections officieuses et partielles des médias donnaient jeudi son parti, le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI), vainqueur avec au moins 119 sièges de députés, loin devant son rival, le parti PML-N. Une majorité de 137 sièges est nécessaire à la formation d'un gouvernement.
Le dépouillement des bulletins a pris énormément de retard en raison de "problèmes techniques" liés à l'utilisation d'un nouveau logiciel électoral, a justifié la Commission.
"Ces élections ne sont pas entachées. (...) Elles sont à 100% justes et transparentes", s'est défendu le directeur de l'ECP, Sardar Muhammad Raza.
"Les élections ont été menées d'une manière équitable et libre", a renchéri le secrétaire de l'ECP, Babar Yaqoob.
Ces problèmes ont alimenté de nombreuses accusations de fraude de la part des autres partis en lice, notamment le PML-N, qui a fait savoir dès mercredi soir qu'il "rejetait intégralement les résultats (...) du fait d'irrégularités manifestes et massives".
Son dirigeant Shahbaz Sharif, frère de l'ancien Premier ministre Nawaz Sharif, emprisonné pour corruption, a dénoncé "des fraudes si flagrantes que tout le monde s'est mis à pleurer".
D'autres partis politiques, comme le PPP de Bilawal Bhutto-Zardari, ont également fait état de manipulations.
M. Khan a balayé ces critiques, estimant que les élections de mercredi étaient "les plus justes et les plus transparentes à s'être jamais tenues au Pakistan". "Il n'y a pas de victimisation politique" à faire valoir, a-t-il lancé.
Des observateurs, dont une mission de l'Union européenne, doivent rendent publiques leurs constatations sur le déroulement du scrutin dans la journée de vendredi.
La controverse fait suite à une campagne déjà considérée par certains observateurs comme l'une des plus "sales" de l'histoire du pays en raison de nombreuses manipulations présumées, et marquée par une visibilité accrue des partis religieux extrémistes.
- Instabilité ? -
Pour les analystes, cette série d'événements fait planer une ombre sur la légitimité du scrutin et risque d'ouvrir la voie à une nouvelle période d'instabilité.
"Les accusations de fraude et de tricherie aux élections vont certainement gêner Imran Khan si lui et son parti prennent effectivement le pouvoir. Il est difficile de dire que vous avez un mandat fort lorsque votre marge de victoire suscite des suspicions d'irrégularités de la part de l'Etat", a noté Michael Kugelman, analyste du Centre Wilson à Washington.
"Peu importe comment il sera géré, le climat post-électoral immédiat sera assez tendu", a-t-il estimé.
L'analyste pakistanais Shuja Nawaz juge aussi que "si les parties continuent de crier à la fraude et se tournent massivement vers l'ECP et les tribunaux, le processus électoral pourrait être retardé. Conjugué à de grandes manifestations, cela pourrait conduire à une crise".
Un autre expert, Hussain Haqqani, note que "personne ne peut gouverner efficacement lorsque la moitié du pays croit que vous avez été installé suite à une manipulation de l'armée et de la justice plutôt que par le vote du peuple".
- Séducteur -
Souvent présenté comme un séducteur impénitent en Occident, Imran Khan se montre sous un jour bien plus conservateur et dévot au Pakistan, où il a fait de la lutte contre la corruption son cheval de bataille et promet un "Etat providence islamique".
Il a également promis dans son discours de travailler à des "relations équilibrées" avec les Etats-Unis et s'est dit prêt à discuter de l'épineux conflit du Cachemire avec l'Inde.
Ses politiques "se focaliseront sur le développement humain", a-t-il ajouté, promettant de "donner l'éducation à tous les enfants" quand "25% d'entre eux sont hors des écoles" et de tenter "d'élever les 45% de la population considérés comme défavorisés".
Son ex-femme Jemima Goldsmith, fille du magnat financier franco-britannique Jimmy Goldsmith, a salué jeudi "une incroyable leçon de ténacité" après des "humiliations, des obstacles et des sacrifices". "Le défi maintenant est de se souvenir pourquoi il est entré en politique au tout début", a-t-elle ajouté.
Les élections de mercredi constituaient un cas rare de transition démocratique d'un gouvernement civil à un autre dans ce jeune pays au passé ponctué de coups d'Etat militaires.
Le Pakistan, puissance nucléaire, a été dirigé par son armée pendant près de la moitié de ses 71 ans d'histoire.
Quelque 800.000 militaires et policiers avaient été déployés pour assurer la sécurité du vote. Malgré cela, plusieurs attaques ont endeuillé le scrutin dont un attentat suicide revendiqué par le groupe Etat islamique (EI) qui a fait au moins 31 morts et 70 blessés à Quetta, au Baloutchistan (sud-ouest).
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