Le Zimbabwe ouvre lundi une nouvelle page de son histoire en organisant ses premières élections depuis près de quarante ans sans Robert Mugabe, un scrutin qui semble promis à son ancien bras droit et successeur Emmerson Mnangagwa.
A la tête du pays depuis son indépendance en 1980, M. Mugabe, 94 ans aujourd'hui, a été poussé à la démission en novembre par l'armée et par son propre parti, la Zanu-PF.
Les généraux et les caciques du régime ont installé sur son trône un de leurs proches, l'ancien vice-président Mnangagwa, 75 ans, qui espère conforter le 30 juillet, dans les urnes, son autorité sur le pays pour les cinq prochaines années.
Son principal adversaire dans la course au pouvoir est le jeune chef du Mouvement pour un changement démocratique (MDC) Nelson Chamisa, un avocat de 40 ans qui veut incarner le changement et la rupture avec l'ancien régime.
Fort du soutien de l'armée, du parti au pouvoir et des médias d'Etat, le chef de l'Etat fait figure de favori, sur fond d'accusations de fraudes de M. Chamisa.
"Emmerson Mnangagwa devrait très probablement conserver le pouvoir à l'issue du scrutin du 30 juillet, laissant augurer d'une période de stabilité politique et de réformes économiques", a anticipé, avec d'autres, le centre d'analyses BMI Research.
Mais la publication, dans la dernière ligne droite de la campagne, d'un sondage créditant le sortant et son principal rival de respectivement 40 et 37% des intentions de vote a laissé entrevoir une élection plus serrée qu'attendu.
Si aucun des 23 candidats - un record - n'obtient lundi plus de 50% des suffrages, un second tour est prévu le 8 septembre.
Ces dernières semaines, Emmerson Mnangagwa a quadrillé le pays en tournant délibérément le dos à son passé pour se présenter comme l'homme du renouveau du Zimbabwe.
- Renouveau -
"Je suis désormais M. Nouveaux projets", a déclaré cette semaine Emmerson Mnangagwa.
A longueur de discours, il a promis l'apogée d'une "nouvelle démocratie" et des milliards de dollars d'investissement qui vont, assure-t-il, remettre sur pied une économie ruinée par la crise et par les réformes catastrophiques de son prédécesseur.
Pour faire revenir au Zimbabwe les entreprises étrangères, le président a garanti des élections "libres, juste et transparentes", en rupture avec les violences et les fraudes qui ont entaché les scrutins de l'ère Mugabe.
Hormis un attentat à la grenade qui a visé le président le mois dernier à Bulawayo (sud), la campagne a été plutôt calme.
"Nous sommes en train de vivre une période électorale d'un calme sans précédent", s'est réjoui cette semaine le ministre des Affaires étrangères Sibusiso Moyo.
Mais l'opposition dénonce depuis des semaines déjà de nombreuses irrégularités dans la préparation du vote.
A la veille du vote, Nelson Chamisa, a mis les pieds dans le plat en rejetant un scrutin à ses yeux "biaisé". "La Commission électorale est partiale (...) il y a eu une négation systématique des standards internationaux en matière de divulgation du matériel électoral", a-t-il pesté.
De retour pour la première fois depuis seize ans au Zimbabwe, les missions d'observations électorales occidentales se sont pour l'heure gardées de réagir à ces accusations.
"La communauté internationale veut une élection qui lui permette de renouer avec le Zimbabwe", a relevé à l'AFP l'analyste Showers Mawowa, de l'ONG Southern African Liaison Office. "Les intérêts politiques et économiques sont tels que la stabilité du pays va primer".
- "Intimidations" -
Seul le Haut-commissariat de l'ONU aux droits de l'Homme a pour l'heure tiré la sonnette d'alarme en déplorant des "intimidations" et des "menaces" sur les électeurs.
Malgré ses accusations et ses craintes, M. Chamisa a refusé de boycotter le scrutin, persuadé de sa victoire.
"Mnangagwa sait que la défaite lui pend au nez. On va se rendre en nombre aux urnes et le battre", a-t-il assuré, "les vainqueurs ne boycottent pas".
Son assurance laisse déjà présager de contestations et de tensions d'ici à la proclamation des résultats par la ZEC, annoncée pour le 4 août.
"Les violences post-électorales restent un scénario possible", s'est inquiété Showers Mawowa, "et il y a des raisons de s'inquiéter de savoir si les militaires accepteraient une éventuelle victoire de l'opposition".
Il y a huit mois, la rue zimbabwéenne a salué la chute de l'autocrate par un tonnerre d'applaudissements, un ouf de soulagement et la promesse de lendemains meilleurs.
Quel que soit son favori, elle attend du scrutin de lundi qu'il donne enfin le coup d'envoi du renouveau.
"On souffre depuis trop longtemps, nous n'avons pas d'argent, la vie est dure", résumait vendredi Lustina Mudavanhu, un paysan de 68 ans venu soutenir Nelson Chamisa en visite à Bindura, au nord-est de Harare.
"Moi je vote pour l'emploi, on a besoin d'emplois", lui a répondu sans révéler sa préférence Rest Maphosa, un habitant de la capitale. "Et même si je dois faire la queue huit heures pour voter lundi, j'attendrai", a-t-il ajouté, "je veux voter pour être sûr que le Zimbabwe sera enfin libéré".
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