Accusé de génocide, condamné, puis acquitté et libéré, l’ancien major rwandais François-Xavier Nzuwonemeye demande aujourd’hui à la justice internationale de contraindre la France à l’accueillir sur son territoire. Cela fait quatre ans qu’il cherche à y rejoindre sa famille. Et il n’est pas le seul acquitté du Tribunal pénal international pour le Rwanda à être oublié dans ce jeu des perdants.
L’ancien officier rwandais avait été arrêté en 2000 à Montauban, dans le sud-ouest de la France. Remis au Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR), François Nzuwonemeye est condamné en première instance avant d’être acquitté en appel, en 2014. Libéré, il n’a plus de papiers et dépend de la bonne volonté du tribunal et des Etats. Quatre ans plus tard, l’ex-commandant du bataillon de reconnaissance reste confiné à la ville d’Arusha, en Tanzanie, où siège le Mécanisme pour les Tribunaux pénaux internationaux (MTPI), qui assure les fonctions résiduelles du TPIR. Avec quelques autres acquittés, il réside dans une « maison sécurisée ». L’administration du TPIR et l’avocat de l’officier ont eu beau faire valoir son droit à retrouver son épouse et ses enfants, qui ont aujourd’hui la nationalité française, Paris a toujours répondu par la négative, ou par le silence. Mais pourquoi, la France, qui a pourtant déjà accueilli deux premiers acquittés du TPIR, ferme-t-elle ses portes à un homme ayant des liens familiaux avec elle ? « Ils ont répondu à une note verbale du greffier en 2014, mais ils ont refusé que le greffier donne une copie de cette réponse à mon client ou à moi », nous indique Peter Robinson, l’avocat de Nzuwonemeye. Sollicité ensuite directement par Me Robinson, Paris n’a pas daigné répondre.
Les déboires du général Kabiligi
Nzuwonemeye n’est pas le premier officier acquitté du TPIR à frapper en vain à la porte de la France. Avant lui, le général Gratien Kabiligi, lavé en 2008 des charges portées contre lui, s’était vu refuser le visa d’entrée dans l’Hexagone où il voulait rejoindre ses enfants, devenus français. Le ministère français de l’Intérieur avait invoqué un risque de « trouble à l’ordre public », obligeant Kabiligi à saisir le tribunal administratif. Sanctionné par le tribunal, le ministère avait porté l’affaire devant le Conseil d’Etat, la plus haute instance judiciaire en France. Celui-ci avait à son tour donné raison à l’ancien officier rwandais. Qu’importe : l’administration française avait refusé d’obtempérer. Sous couvert de l’anonymat, un haut responsable du MTPI y voit une explication politique. « La France, toujours accusée par Kigali d’avoir joué un rôle dans le génocide, notamment en soutenant l’ancienne armée rwandaise, veut faire bonne figure devant les autorités rwandaises », nous explique-t-il.
Après dix ans d’attente, le général Kabiligi a finalement eu la chance d’être discrètement accueilli en Belgique, le mois dernier, selon des membres de sa famille qui ne souhaitent pas en dire davantage. Interrogé par JusticeInfo, le MTPI, désormais peu disposé à communiquer sur ce sujet, n’a pas non plus voulu dire le rôle qu’il y aurait joué.
Nzuwonemeye change de stratégie
Tirant les leçons de l’expérience des vains efforts de Kabiligi devant les instances françaises, Nzuwonemeye a opté pour une nouvelle tactique. Le 23 août, il a déposé une requête devant le MTPI, demandant que la France soit contrainte, par une décision de la justice internationale, à l’accueillir sur son territoire. Si Paris craint pour « ses relations diplomatiques avec le Rwanda », l’arrêt « allégera cette inquiétude, parce qu’il s’agira d’une obligation imposée à la France par le Mécanisme », argumente Me Robinson dans cette requête. De plus, poursuit l’avocat, « Nzuwonemeye ne demande pas au Mécanisme d’ordonner à la France de lui accorder l’asile ou tout autre statut particulier d’immigrant », mais seulement de « le rétablir dans la même situation où il était au moment de son transfert au TPIR. » Il s’agit de rendre la demande le moins exigeante possible. Mais il s’agit aussi de ne pas tomber dans l’oubli.
Attirer l’attention
Me Robinson demande en effet à l’instance internationale de tenir une audience publique sur sa requête. « Pour donner à la France et à la Tanzanie » – le pays hôte, qui continue d’être encombré de la présence de ces ex-dirigeants rwandais – « l’opportunité d’être entendues », nous explique d’abord l’avocat. Avant d’ajouter souhaiter « attirer l’attention sur l’abandon des personnes acquittées par le TPIR, dont Nzuwonemeye, qui sont intolérablement bloquées à Arusha et séparées de leurs familles ». Kabiligi est enfin sorti de cette quadrature du cercle. Mais Nzuwonemeye partage encore son sort avec quatre anciens ministres ainsi que le célèbre Protais Zigiranyirazo, beau-frère de l’ex-président rwandais, Juvénal Habyarimana. Sans aucun document de voyage, ils ne peuvent sortir de la petite ville d’Arusha que sur autorisation spéciale. Le plus ancien dans cette situation que l’ancien greffier du TPIR, Adama Dieng, avait délicatement qualifiée d’« inédite », est l’ex-ministre des Transports André Ntagerura, acquitté il y a 14 ans.