Chaque début de semaine, la même scène se reproduit à la Haute Cour de Banjul : à midi, aux pieds d’une statue représentant la justice les yeux bandés et une balance à la main, un bus dépose un groupe d’accusés très bien gardés par les forces de sécurité. Ces hommes sont attendus pour les audiences du procès de la NIA, l’ancienne agence nationale des services de renseignements. Depuis près d’un an et demi, ils sont entendus pour le meurtre en détention de l’opposant politique Solo Sandeng, arrêté en avril 2016 lors d’une manifestation. Tous ont plaidé non coupable devant la juge Kumba Sillah-Camara, coiffée de la traditionnelle perruque blonde héritée des Britanniques. Mais depuis mi-octobre, ils ne sont plus que huit : Louis Gomez, ancien numéro 2 de la NIA, est décédé après une courte hospitalisation, sans que les causes de sa mort ne soient pour l’heure établies.
Le procès de la NIA est le seul procès pénal en cours dans le pays concernant les crimes de l’ancien régime. L’agence de renseignements était connue pour ses détentions arbitraires et les nombreux cas de torture dans ses geôles. L’arrestation de ce groupe d’anciens cadres a été effectuée dans la précipitation, quelques semaines après le départ en exil du président Yahya Jammeh, en janvier 2017, alors que le système judiciaire peinait à se remettre de vingt-deux ans de dictature. Cafouillages et renvois ont entamé le début de la procédure.
Des procès trop lourds pour le pays
Les restes de Solo Sandeng, exhumés en avril 2017, sont pour l’heure toujours à la morgue, dans l’attente des résultats d’analyse de la police scientifique. Selon un film diffusé le 1er novembre par l’organisation internationale Justice Rapid Response, qui a envoyé une équipe d’experts médico-légaux, l’identification a désormais établie. En colère face aux lenteurs au début de la procédure, Muhammed Sandeng, le fils de la victime, sait désormais qu’il faudra faire preuve de patience : « Je suis maintenant conscient que ces processus prennent beaucoup de temps. On va dans la bonne direction. Mais c’est difficile de ne pas pouvoir récupérer son corps, et cela permettrait de tourner la page si le gouvernement pouvait accélérer, pour savoir qui est responsable et quelles sont les peines. »
Ce procès continue d’apparaître très lourd à gérer pour le ministère de la Justice. Le ministre Abubacarr Tambadou a déjà admis à plusieurs reprises que ses équipes n’étaient pas prêtes pour une procédure d’une telle envergure. Il est donc pour l’instant hors de question d’ouvrir de nouveaux dossiers.
Que faire avec ce groupe d'hommes qui reconnaissent avoir commis des crimes terribles, alors que la justice n'est pas prête, en termes de personnel, de structures ?
Pourtant, d’autres suspects se trouvent en détention. Selon l’armée, six présumés « Junglers », l’escadron de la mort de Yahya Jammeh, sont dans les prisons militaires. « Nous reconnaissons qu’ils sont détenus depuis longtemps, sans être présentés à un juge. Mais que faire avec ce groupe d'hommes qui reconnaissent avoir commis des crimes terribles, alors que la justice n'est pas prête, en termes de personnel, de structures ? » s’est interrogé le ministre de la Justice, lors d’une conférence de presse le 9 octobre, conscient qu’une telle situation violait la constitution gambienne.
L’espoir de procédures internationales
L’affaire de la NIA demeure donc unique dans le pays, mais les victimes de la dictature peuvent aussi compter sur un autre dossier, ouvert hors de Gambie. Depuis janvier 2017, la Suisse détient l’ancien ministre de l’Intérieur gambien, Ousman Sonko, en cavale après son limogeage par l’ancien président. Sa présence sur le territoire suisse avait été révélée par Trial International, une ONG suisse qui assiste les victimes dans plusieurs procès de crimes internationaux. « Ousman Sonko a participé aux plus hautes fonctions régaliennes pendant quinze ans. C’est un pur produit de l’école Jammeh et c’est une personne qui semble impliquée dans beaucoup d’événements graves », affirme Bénédict de Moerloose, responsable du département enquête et droit pénal à Trial International. « On est donc tout proche du pouvoir suprême. C’était probablement un des principaux exécutants. C’est important que soient jugés les plus hauts responsables et de montrer que c’est possible. »
L’ancien ministre de Jammeh est entendu par une procureure suisse pour de présumés crimes contre l’humanité. « Les enquêtes se poursuivent, des témoins sont appelés pour éclaircir les faits et on espère avoir un renvoi en jugement dans huit mois, un an », explique Bénédict de Moerloose.
Le troisième front des offensives pénales vise Yahya Jammeh lui-même. Lancée par des associations de victimes avec le soutien d’ONG internationales il y a un an, la campagne « Jammeh2Justice » vise à collecter des preuves contre l’ancien président. Elle travaille en priorité sur le massacre de migrants, la plupart ghanéens, survenu en 2005. Avec l’espoir qu’un jour, peut-être, les autorités judiciaires ghanéennes ou d’un autre pays se saisissent de l’affaire et ouvrent des poursuites contre l’ancien dictateur, aujourd’hui en exil en Guinée Equatoriale.