Le 4 novembre, Yankuba Touray a de nouveau fait la une des journaux en Gambie. Son avocat Abdoulie Sisoho a demandé à la Haute Cour de procéder à l’arrestation du directeur exécutif de la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC), Baba Galleh Jallow, pour ne pas avoir comparu au tribunal après une convocation.
Jallow était convoqué pour déposer le témoignage d'Ensa Mendy, un témoin devant la TRRC qui a impliqué Touray dans le meurtre d'un ancien ministre des Finances, Ousman Koro Ceesay. Koro Ceesay a été tué en juin 1995. Ses restes carbonisés ont été retrouvés dans son véhicule cabossé, le long de la route de Jambur, à environ une heure de route de Banjul, la capitale. La Gambie était alors dirigée par un Conseil militaire présidé par Yahya Jammeh, qui vit maintenant en Guinée équatoriale. Yankuba Touray, un membre clé de la junte militaire, était ministre des collectivités locales tandis qu'Edward Singhatey était vice-président du Conseil. Touray et Singhatey ont nié être impliqués dans le meurtre. Mais Touray a été inculpé sur la base de preuves fournies devant la TRRC.
La preuve devant la TRRC
Le 28 février, devant la TRRC, un ancien soldat servant désormais dans les services d'immigration de Gambie a avoué le meurtre de Koro Ceesay. Alagie Kanyi a dit que la scène du crime était la maison des Touray. Il allègue que les architectes du crime sont Edward Singhatey, son frère Peter Singhatey et Yankuba Touray. Selon le ministre de la Justice de l'époque, Mustapha Marong, l'affaire n'a jamais fait l'objet d'une enquête par les chefs militaires. "La plupart des ministres civils du cabinet pensaient que Koro avait été assassiné", a affirmé Marong devant la TRRC, en avril dernier.
Edward Singhatey a comparu devant la TRRC le 17 octobre. Il a nié toute connaissance du meurtre. Son aide-de-camp et son chauffeur, Lamin Marong et Lamin Fatty, ont déclaré l'avoir déposé chez Touray la nuit du meurtre. Singhatey a assuré, au contraire, qu'il était chez lui. Selon lui, Marong et Fatty avaient été "chassés" de sa maison, suggérant qu'ils avaient un motif pour mentir contre lui. Mais Jangom, le commandant de la garde au domicile de Touray, a également dit qu'à son retour de patrouille, il avait vu Singhatey chez Touray, en train de fumer. Singhatey répond qu'il ne fume pas, suggérant que Jangom était aussi un menteur.
Yankuba Touray a comparu devant la Commission vérité le 26 juin, mais il a refusé de témoigner, affirmant jouir d’une immunité constitutionnelle. Son comportement non coopératif avec la TRRC a provoqué un tollé national. La Commission a ordonné son arrestation pour outrage au tribunal. Et le ministre de la Justice Abubacarr Tambadou a demandé que Touray soit accusé de meurtre. Le procès est maintenant commencé ; le tribunal siège une fois par semaine.
Le témoignage d'Ensa Mendy
Ensa Mendy est le deuxième témoin de l'accusation à comparaître au procès et le premier témoin important sur le fond de l'affaire. Selon son témoignage devant la TRRC, Mendy a été aide-de-camp de Touray pendant sept ans. Devant le tribunal la semaine dernière, il a déclaré qu'il n'était pas avec Touray le soir du meurtre. Touray lui avait demandé de rentrer chez lui après le travail. (Les gardes de Touray habitaient chez lui.) Mais plus tard dans la soirée, il l'a rappelé pour qu’il rejoigne une patrouille autour de la plage, à environ dix kilomètres de la résidence de Touray. Mendy affirme que deux personnes patrouillaient avec lui : Ahmed Jangom, le commandant de la garde à la résidence de Touray, et un certain Lamin Bojang, un ancien camarade de classe.
- "Cela faisait-il partie de votre devoir, en tant que garde du corps, d'être également déployé en patrouille sur le site de la plage ?" a demandé le procureur.
- "Non", répond Mendy.
- "À part ce jour-là, vous a-t-on jamais demandé de patrouiller alors que vous étiez garde du corps/aide-de-camp ?"
- "Non."
Après son retour de patrouille à la résidence de Touray, entre 1 et 2 heures du matin, Mendy affirme qu'il avait vu Touray aller dans sa chambre depuis le salon. "Sa chambre et notre chambre sont en face l'une de l'autre. Alors je me suis tenu devant ma porte et j'ai vu que la maison était toute mouillée d'eau. Je me suis dirigé vers le salon, tout était boueux et trempé," dit Mendy. "A l'entrée du salon, j'ai vu son uniforme posé par terre, je l'ai observé et j'ai vu des brûlures autour de la poche latérale. Je me suis dit qu'il s'était passé quelque chose ici." Mendy dit n’avoir entendu parler de la mort de Koro Ceesay que le lendemain, en arrivant au travail.
Pointer les déclarations contradictoires
L'avocat de Touray a contesté le fait que Mendy ait été nommé garde du corps de son client. "J'ai joué deux rôles : son garde du corps et son aide-de-camp", a répondu Mendy. "On m'a donné une arme pour le protéger et en même temps, j'étais son aide-de-camp." L'avocat de Touray a également contesté l'intégrité de Mendy. Il affirme que Mendy a fait des déclarations contradictoires dans ses témoignages écrits et oraux à la TRRC et dans sa déclaration aux enquêteurs de police sur l'implication de Touray dans le meurtre. C'est sur cette base qu'il a demandé que les déclarations de Mendy à la TRRC soient soumises au tribunal.
Suite à la demande d'arrestation de son propre secrétaire exécutif, la Commission a été contrainte de réagir. "Il suffit, dans ce cas particulier, qu'un représentant autorisé de la TRRC ait été présent au tribunal en vertu de la convocation pour produire les documents. La Cour a également été informée de ce fait par le procureur chargé de l'affaire", a déclaré l'équipe juridique de la Commission, le 5 novembre. Le procureur a également exhorté le tribunal à rejeter la demande de la défense.
En attendant le témoin vedette
Le témoin vedette du procès de Touray sera Alagie Kanyi, qui a avoué devant la TRRC avoir participé au meurtre. Cependant, Singhatey, avocat de formation, a déjà déclaré qu'ils n'auraient pas fait confiance à Kanyi pour une telle mission. Et Kanyi a déjà ruiné un procès pour outrage au tribunal contre Touray et une autre personne, à cause de trois déclarations devant la TRRC, un tribunal de première instance et la haute cour, qui se contredisaient.
Yankuba Jallow, journaliste gambien travaillant pour le journal Foroyaaa et qui suit l'affaire de près, estime que le bureau du procureur a un combat difficile. "Je crois que le parquet a du mal à prouver la culpabilité de M. Touray. Selon les témoignages entendus jusqu'à présent par la TRRC, l'incident s'est produit alors que même les gardes et les aides-de-camp étaient absents", analyse Jallow. "Le meurtre est un crime passible de la peine de mort qui nécessite un niveau de preuve élevé. Cela aurait été facile si Edward Singhatey avait admis avoir participé au meurtre, mais puisqu'il a nié sa culpabilité, qui est là pour prouver la culpabilité de M. Touray ?"
Le militant gambien des droits humains Madi Jobarteh pense le contraire : "Tous les participants à ce meurtre, à l'exception d'Edward Singhatey, semblent donner des preuves convaincantes que le meurtre a eu lieu dans la maison [de Touray]. Singhatey lui-même n'a jamais nié que Koro avait été tué dans la maison de Touray même s'il a semé le doute. Ce qui rend cette affaire solide, c'est que Yankuba serait tenu de fournir un alibi ou de nier l'assassinat de Koro dans sa maison. Avec des contre-interrogatoires rigoureux et la fourniture de preuves plus tangibles, le parquet dispose d'arguments solides. L'espace et le confort dont Singhatey pouvait jouir devant la TRRC n'existent pas dans un tribunal."
Le procureur prévoit d'appeler sept témoins pour appuyer sa thèse.