La Cour internationale de justice (CIJ) a ordonné jeudi à la Birmanie de prendre "toutes les mesures" en son pouvoir pour prévenir un éventuel génocide à l'encontre de la minorité musulmane des Rohingyas.
La Cour basée à La Haye (Pays-Bas) a accordé une série de mesures d'urgence requises par la Gambie, soutenue par les 57 États membres de l'Organisation de la coopération islamique, le Canada et les Pays-Bas, qui accuse la Birmanie d'avoir violé la Convention des Nations unies de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide.
Peu après que la CIJ se soit déclarée compétente pour statuer dans l'affaire, le juge président Abdulqawi Ahmed Yusuf a annoncé que la Birmanie "doit prendre toutes les mesures en son pouvoir afin de prévenir la commission de tout acte entrant dans le champ d'application" de cette convention.
Ces actes comprennent notamment le "meurtre de membres du groupe" rohingya et la "soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction physique totale ou partielle".
La décision de la Cour, la première dans cette affaire, intervient quelques jours après qu'une commission mandatée par le gouvernement birman a conclu que quelques militaires avaient bien commis des crimes de guerre envers les Rohingyas, mais que l'armée n'était pas coupable de génocide.
Depuis août 2017, environ 740.000 Rohingyas se sont réfugiés au Bangladesh pour fuir les exactions de militaires birmans et de milices bouddhistes, qualifiées de "génocide" par des enquêteurs de l'ONU.
Quelque 600.000 Rohingyas restent également confinés dans des camps et des villages en Birmanie, ne pouvant en partir qu'avec autorisation. Beaucoup ont cherché au fil des années à gagner la Thaïlande ou la Malaisie.
La cheffe de facto du gouvernement birman, Aung San Suu Kyi, a marqué l'histoire de la CIJ, plus haute instance judiciaire de l'ONU, en assurant elle-même la défense de la Birmanie lors d'audiences à la mi-décembre.
"Impunité"
La CIJ a ordonné à la Birmanie de lui fournir un rapport sur les mesures prises pour exécuter son ordonnance dans les quatre mois, puis tous les six mois.
La Gambie, à majorité musulmane, avait demandé à la Cour d'ordonner des mesures d'urgence dans l'attente d'une décision finale concernant cette affaire, qui pourrait prendre des années.
Dans une rare déclaration commune mercredi, plus de 100 organisations de la société civile birmane ont exprimé leur soutien aux accusations portées devant la CIJ contre leur pays.
Selon ces organisations, le système judiciaire interne de la Birmanie n'est pas en mesure de rendre des comptes et a simplement permis aux coupables de "continuer à commettre des actes de violence en toute impunité".
Un porte-parole de l'armée birmane n'a pas souhaité répondre aux questions des journalistes sur le sujet jeudi matin à Naypyidaw, déclarant que celle-ci "suivrait les instructions du gouvernement".
Très critiquée par la communauté internationale pour son silence dans cette affaire, Aung San Suu Kyi a fermement rejeté devant la CIJ les accusations selon lesquelles l'armée avait agi avec une "intention génocidaire".
La lauréate du prix Nobel de la paix a aussi mis en garde contre une procédure susceptible de "saper la réconciliation" des communautés en Birmanie.
Les décisions de la CIJ, fondée en 1946 pour régler les litiges entre États, sont contraignantes et ne sont pas susceptibles d'appel. La Cour n'a cependant aucun moyen de les faire appliquer.
La Birmanie est mise en cause dans d'autres procédures dans cette affaire, devant la Cour pénale internationale (CPI), qui poursuit des individus, et en Argentine.