Les prévisions optimistes de l’ancienne présidente de l’Instance vérité et dignité (IVD), Sihem Bensedrine, confiées à Justice Info peu après les élections législatives de l’automne dernier, semblent aujourd’hui en passe de se réaliser. Si l’hostilité semblait marquer jusqu’à très récemment les rapports entre la commission vérité tunisienne, qui a clos ses travaux en décembre 2019, et le gouvernement, le vent tourne en effet de façon significative depuis l’élection le 13 octobre du juriste constitutionnaliste Kaïes Saïed à la tête de l’Etat et l’installation de la nouvelle Assemblée des représentants du peuple en novembre.
Cette volte-face politique s’est récemment traduite par un signe fort adressé à la société civile tunisienne : pour la première fois, un représentant du chef du gouvernement ne décline pas une invitation à intervenir dans une rencontre organisée par la campagne « La Roujou3 » (Never Again) menée par trois associations de la société civile, Avocats sans frontières, l’ONG Bawsala (Boussole) et le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux. Pourtant, jusque-là le sujet de ces rencontres indisposait clairement l’équipe du précédent gouvernement de Youssef Chahed : la justice transitionnelle.
Un « Mr justice transitionnelle » au gouvernement
Le 28 janvier, les participants à cette rencontre, organisée sur le thème « Les perspectives et avenir de la justice transitionnelle post-IVD » découvrent dans le même temps que le chef du gouvernement dispose d’un conseiller à la justice transitionnelle, Belhassen Ben Amor. Ce magistrat de second grade avait été nommé en tant que conseiller à la présidence du gouvernement depuis juillet 2017. Bien qu’arrivé tard et parti avant la fin du panel, Ben Amor a fait des déclarations importantes pour l’avenir du processus de justice transitionnelle dans le pays. Il assure : « Un comité est sur le point d’achever ses travaux en vue de la publication du rapport final de l’IVD et le rendre réellement officiel. »
Ce document final de 2.344 pages, étalé sur sept tomes et couvrant une période allant de juillet 1955 à décembre 2013, synthétise les cinq années de travail de la commission vérité. Il traite du démantèlement des mécanismes du despotisme et de la corruption, des violations contre les femmes et les enfants, des atteintes aux droits humains selon les grandes périodes historiques, ainsi que des réparations et de la réhabilitation des 50.000 victimes.
« Nous attendons l’issue des recours qu’a reçu le Tribunal administratif de la part de blessés n’ayant pas trouvé leur nom sur la liste des blessés et des martyrs de la révolution pour également publier ce document sur le Journal officiel. Nous comptons aussi activer le Fonds de la dignité pour la réparation des victimes. Nous sommes en train de répondre à toutes les demandes de l’IVD », ajoute lors de cette même rencontre, l’émissaire du chef du gouvernement nouvellement nommé, Elyes Fakhfakh.
Ben Amor informe, d’autre part, qu’une commission composée de juristes a été mise en place par le chef du gouvernement pour étudier toutes les questions restées en suspens après la clôture des travaux de la commission vérité et trouver des réponses adaptées à tous les dossiers en lien avec le processus. Ainsi, a-t-il signalé : « 2.700 décisions de réparations n’ont pas été attribuées à leurs bénéficiaires. Nous nous sommes engagés, en coordination avec l’IVD et ses bureaux régionaux, à les transmettre aux victimes concernées. »
Création d’une commission au Parlement
La loi organique relative à l’organisation de la justice transitionnelle en Tunisie précise que « dans un délai d'une année, à compter de la date de publication du rapport global de l'instance, le gouvernement prépare un plan et des programmes de travail pour appliquer les recommandations et les propositions présentées par l'Instance », et ajoute : « Une commission parlementaire sera créée à cet effet et qui collaborera avec les associations concernées pour rendre les recommandations et les propositions effectives. » C’est donc l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) qui va contrôler l’application de ce nouveau programme annoncé par le représentant du gouvernement, tiré du rapport de l’IVD.
Quelques jours après leur congrès du 28 janvier dernier, qui fera date, les animateurs de la campagne « La Roujou3 » ont été contactés par des représentants de l’ARP. Hier jeudi 6 février, ils avaient rendez-vous avec le président de l'Assemblée, Rached Ghannouchi, pour évoquer la mise en place de la commission parlementaire prévue par la loi sur la justice transitionnelle. Son horizon, en Tunisie, reste guidé par des équilibres politiques fluctuants.