Tous les regards se sont tournés vers les protestations et les appels à la réforme de la police aux États-Unis et en Europe ces dernières semaines, et la confiance du public dans les institutions policières est au plus bas dans de nombreux pays du monde. La police est le gardien du système de justice pénale. Elle est la manifestation physique du contrat social et, à ce titre, le niveau de confiance entre le peuple et la police est un test décisif de l'état de développement d'une société démocratique.
Le déclin de la confiance du public dans les institutions de sécurité en général - police et armée - est une tendance inquiétante, et il semble que cette crise pourrait bien être le catalyseur d'une réforme nécessaire. Les pays qui ont fait la transition d'un conflit à la paix, vers un État de droit efficace et un contrôle démocratique, ont appris qu'un système de sécurité et de justice responsable est la base sur laquelle repose le développement politique, social et économique.
Le débat actuel sur le "dé-financement" de la police ne devrait donc pas se concentrer sur la question de savoir si la société en a besoin, mais plutôt si le rôle de cette police - en tant qu'institution de dernier recours pour tous les problèmes de la société - est réellement efficace ou viable. Au fil du temps, le mandat traditionnel de la police - maintenir l'ordre et la sécurité publics, faire respecter la loi, et prévenir, détecter et enquêter sur les activités criminelles - a été élargi pour compenser les lacunes des systèmes politiques et économiques et de l'engagement civique. Et c'est là que réside tout le problème.
Pratiquer chez soi ce que l'on prêche à l'étranger
La réforme de la police, comme celle de tous les domaines du secteur de la sécurité, est autant un défi politique et social qu'un défi technique et juridique. Il est temps pour les pays occidentaux de mettre en pratique chez eux ce qu'ils prêchent depuis des décennies aux pays dits en développement. Les mêmes programmes d'aide au développement et à la sécurité qui soutiennent les réformes dans le Sud, notamment, pourraient fournir des lignes directrices et des bonnes pratiques pour réformer la police dans les pays occidentaux.
Forgés à l’épreuve de l'expérience et testés sur de longues périodes, les principes qui guident de telles réformes sont bien connus. Ils ont été inscrits et renforcés dans les politiques et les déclarations officielles de rien moins que les Nations unies, l'Union européenne et l'Union africaine.
Tout d'abord, la réforme de la police doit être une priorité et un engagement politiques, pris en charge et définis localement. Le changement doit être fondé sur un engagement politique fort, et le personnel de police lui-même doit reconnaître la nécessité du changement et se l'approprier. Le public doit participer à l'identification des priorités en matière de réforme, notamment en ce qui concerne la structure, les ressources, le mandat et la responsabilité de la police.
Nous constatons couramment que dans les environnements policiers peu matures, le débat public sur la police reste plus limité, voire monopolisé par la police elle-même, avec un apport civil limité. L'excuse courante pour limiter le débat est que le maintien de l'ordre est un sujet complexe qui est mal compris par les experts non policiers ; pourtant, pour avoir le type d'organismes de maintien de l'ordre que nous voulons dans nos sociétés ceux-ci doivent fondamentalement rester une question de politique publique faisant l'objet d'une consultation approfondie et d'un développement concerté avec tous les pans de la société.
En Éthiopie, où l'absence de redevabilité de la police a été source de discorde dans de nombreuses communautés, le gouvernement a mené des consultations approfondies avec les communautés locales, les universitaires, les experts de la police, la société civile et les partis politiques dans toutes les régions afin d’élaborer une doctrine nationale révisée en matière de police.
L’enquête de perception publique, un outil important
Dans d'autres contextes, au Libéria ou en Gambie, les gouvernements ont mené des enquêtes de perception publique pour comprendre dans quelle mesure la police jouissait ou non de la confiance des communautés et pour identifier les parties d'une communauté, les groupes ethniques ou de genre spécifiques, qui avaient une relation difficile avec la police ou avec d'autres institutions de sécurité. Ces consultations ont permis aux décideurs politiques de façonner le processus de réforme en fonction des points de vue et des besoins spécifiques. Ainsi, des études de perception, conduites à intervalles réguliers, peuvent être des outils importants pour comprendre si les réformes ont eu le résultat escompté.
Deuxièmement, si l'on veut réduire les risques d'abus, il faut trouver un équilibre entre l'amélioration de l'efficacité de la police et la mise en place de mécanismes de redevabilité appropriés. C'est généralement là que la réforme de la police échoue. L'accent est trop souvent mis sur la formation et l'amélioration des équipements, sans que les garanties institutionnelles nécessaires soit en place pour s'assurer que cette capacité est utilisée de manière appropriée.
Troisièmement, la réforme de la police est un processus systémique ancré dans le contrat social entre l'État et la société. Elle a des répercussions pour toutes les institutions de sécurité et de justice. Le maintien de l'ordre ne se fait pas de manière isolée ; il doit être compris dans le contexte social, économique et politique, et comme faisant partie du système plus large de justice pénale et de gouvernance.
Une police de consentement ou une police coercitive ?
Au vu des récentes protestations, de l'évolution du rôle des institutions policières et des résultats des travaux menés de longue date par le DCAF - Centre de Genève pour la gouvernance du secteur de la sécurité - sur la réforme de la police dans de nombreuses régions du monde, nous pouvons estimer que les réformateurs aux États-Unis et dans d'autres pays occidentaux seront confrontés à quatre questions clés.
La première est la démilitarisation. La division des rôles et des responsabilités entre les organes de sécurité a certes souvent été un problème dans les pays en transition vers la démocratie, mais nous avons aussi constaté une tendance à la militarisation de la police dans le monde dit développé au cours des deux dernières décennies. Cela est dû en partie à la facilité avec laquelle on peut se procurer des équipements militaires excédentaires, au recrutement de personnel de police issus de l'armée et à l'utilisation de l'armée pour la sécurité intérieure – mais aussi à un changement de tactique, de philosophie et d'approche en matière de police. Ce qui est clair, c'est que cette tendance a éloigné la police de l'idée de service - de maintien de l'ordre consenti - et renforcé sa perception de force coercitive.
Une autre question est celle de l'inclusion. Pour être efficace, la police doit avoir la confiance du public. La première étape consiste à s'assurer que la police est représentative de la société qu'elle sert, ce qui implique généralement une plus grande diversité d'ethnicité et de sexe dans les rangs supérieurs. Cela doit être associé à des politiques de mise en confiance et à un dialogue inclusif sur les besoins de la police, en particulier avec les groupes sociaux vulnérables, souffrant de discrimination sexuelle, culturelle ou socio-économique.
Pourquoi un changement social est nécessaire
Un autre défi consiste à avoir plusieurs niveaux de redevabilité. L'expérience a montré que cela est nécessaire pour garantir l'intégrité d'une institution policière.
La Sierra Leone et l'Irlande du Nord offrent toutes deux de bons exemples de réformes visant à créer plusieurs niveaux de responsabilité, afin de renforcer l'intégrité au sein de la police et de combler le fossé de confiance avec la population. Grâce à une approche globale du contrôle de la police et à l'élaboration de programmes favorisant l'intégrité, de codes de conduite, de mécanismes de plainte et de procédures disciplinaires, une rupture nette avec le passé a été possible. Cette rupture a été renforcée par un contrôle parlementaire, la mise en place d’organes consultatifs au sein des communautés locales et d'autres mécanismes externes tels qu'une institution de médiation, de commissions de policiers et à une meilleure transparence de l'information. Dans les Balkans occidentaux, mais aussi dans de nombreux autres pays sur tous les continents, des réformes similaires ont mis l'accent sur le renforcement du rôle de la société civile dans le contrôle des pratiques policières.
Le dernier point concerne la réactivité au changement social. Les institutions policières, comme les autres structures de sécurité et de justice, sont le produit de l'histoire d'un pays, de son système politique propre et de sa culture. Ainsi, si les principes de réforme transcendent le contexte, il n'existe pas deux systèmes de police identiques et le changement doit refléter les normes sociales et culturelles. Un changement dans l'approche du maintien de l'ordre ne nécessite pas seulement un changement politique, mais aussi, dans la plupart des cas, un changement social.
Il s’agit de changer le système
Les récentes manifestations et protestations contre les brutalités policières marquent un tournant et ce n'est pas seulement le maintien de l'ordre qui est en danger. Dans certains contextes, d'importantes valeurs démocratiques sont remises en cause. Tant que nous n'aurons pas accepté la nécessité d'un changement systémique, les protestations contre la police se poursuivront probablement. La poursuite de l'érosion de la confiance entre la police et les personnes qu'elle est censée servir affaiblira le contrat social. Les décideurs politiques doivent accepter le fait qu'il ne s'agit pas de quelques mauvais élèves qui se sont mal comportés. Il s'agit de la manière dont les institutions policières fonctionnent et dont elles sont tenues de rendre des comptes. Le public le mérite, et la démocratie en dépend.
THOMAS GUERBER
Thomas Guerber est le directeur du DCAF - le Centre de Genève pour la gouvernance du secteur de la sécurité. De 2010 à 2013, il a été le représentant permanent adjoint de la Suisse auprès des Nations unies à New York. En Suisse, il a occupé diverses fonctions au sein de la Division de la sécurité humaine du Département fédéral des affaires étrangères, dont celle de chef de la Section de la politique de paix et de la sécurité humaine. Il est directeur du DCAF depuis 2016.