"Le traitement est vrai", déclare le docteur Tamsir Mbowe, gynécologue et obstétricien formé en Union soviétique, lors de son témoignage devant la Commission vérité, réconciliation et réparations (TRRC), en Gambie, le 21 octobre. "Pourquoi une personne a-t-elle une charge virale de 200 millions de copies [sic] et qu'après deux mois de traitement, cela est indétectable ? C'est grâce au médicament."
En 2007, l'autocrate gambien Yahya Jammeh annonçait avoir trouvé une concoction à base de plantes qui pouvait guérir le sida en trois jours. Le Dr Mbowe devient alors le directeur du programme présidentiel de traitement du VIH/sida. Or, lors de récentes audiences publiques devant la TRRC, 10 patients, 5 médecins dont un scientifique spécialisé dans le VIH, 3 laborantins et l'ancien aide de camp de Jammeh - qui ont tous connu le traitement présidentiel - ont décrit le traitement de Jammeh comme un "canular", un faux remède qui a coûté la vie à un certain nombre de ceux qui y ont cru.
Mis à part Ansumana Jammeh, un frère de l'ancien président gambien sans formation médicale, Dr Mbowe est la seule personne qui semble encore croire que le traitement de Jammeh agissait, malgré les preuves accablantes du contraire.
Vérité et manipulation
Son témoignage devant la TRRC met fin à l'enquête de la Commission sur le traitement mortel de Jammeh contre le VIH/Sida. Mais pour Essa Faal, conseil principal à la TRRC, cette fin fut frustrante.
- "Vous êtes le seul médecin à avoir comparu ici et à avoir confondu une charge virale indétectable avec un traitement et c'est un problème fondamental dans ce traitement, assène Faal à l’encontre de Dr Mbowe.
- Le traitement est vrai, répond ce dernier.
- La vérité est que vous n'avez aucune preuve de cela.
- La preuve, ce sont les résultats de la charge virale.
- Mais comment pouvons-nous le savoir ?
- Allez à Dakar... [Les échantillons des patients séropositifs de Mbowe ont été envoyés pour la première fois à un laboratoire à Dakar, au Sénégal, en 2007]. Le virus a été éliminé grâce aux médicaments.
- Ou grâce à une manipulation.
- Non. Je ne pense pas que les laboratoires en Egypte [où les échantillons ont été envoyés plus tard] manipuleraient les résultats.
- L'Égypte se fie à ce que vous lui envoyez. Ils n'ont pas vu les patients ni fait les prises de sang. Est-ce exact ?
- C'est vrai."
On ne sait toujours pas tout sur la préparation de Jammeh. Même Dr Mbowe ne semble pas le savoir. Il confirme que les résultats de son traitement ne sont pas non plus disponibles. Guérir le VIH/sida n'était, en réalité, pas la seule prétention médicale de Jammeh. L'ancien président a également déclaré qu'il pouvait vaincre les démons et exorciser une personne possédée. Selon le docteur Assan Jaye, témoin devant la TRRC, Jammeh a déclaré dès le début de sa présidence (1994-2017) qu'il avait voulu être médecin. "Il en est arrivé à un point où je pense qu'il [Jammeh] voulait que les Gambiens le croient surnaturel", ajoute le docteur Adama Amadou Sallah, propriétaire de l'une des principales cliniques privées de Gambie, Lamtoro, qui a comparu devant la TRRC le 19 octobre.
Méthodes coercitives, résultats mortels
Essa Faal a recensé dix personnes mortes pendant le traitement de Jammeh et plusieurs autres mortes immédiatement après leur sortie. Dr Mbowe affirme, lui, que dans ses dossiers, il y a eu environ quatre décès et que ceux-ci n'étaient pas entre leurs mains au moment de leur mort.
Tous les experts qui ont comparu devant la Commission ont déclaré que le traitement de Jammeh était à l'origine du décès des patients. La propre domestique de Dr Sallah, une patiente séropositive, a rejoint le traitement présidentiel à un moment donné. Elle est morte après en être sortie, malgré une reprise d’antirétroviraux. "Je pense que si elle avait continué à prendre des antirétroviraux, elle aurait pu être avec nous aujourd'hui", dit Dr Sallah. "L'ampleur des dommages que ce traitement a causés à certaines familles et à certains patients n'est vraiment pas quantifiable en termes de souffrance humaine. C'était une mort lente mais certaine", ajoute-t-il.
Tous les anciens patients qui ont témoigné devant la Commission vérité ont décrit un environnement coercitif où les patients se voyaient refuser les visites ou de quitter le centre. Ils ont raconté être sous haute surveillance. Dr Mbowe dément. Cependant, dans une déclaration faite au préalable à la Commission, il avait écrit ceci : "La séance dure généralement plusieurs heures par jour. Je n'ai presque pas dormi pendant les six premiers mois de la première année parce que c'était un marathon. Les patients n'avaient pas le droit de recevoir de visites de leur famille ou de qui que ce soit, d'où l’important service de sécurité. Ils étaient vraiment surveillés comme des présidents. Si une personne ne faisait pas partie du programme de traitement, elle n'était pas autorisée à parler aux patients. C'était vraiment un endroit très surveillé."
- "Comment concilier ce que vous dites [aujour’hui] à la Commission et ce que vous avez dit dans votre déclaration, qui est diamétralement opposé, interroge Essa Fall.
- Oui, répondit Dr Mbowe comme s'il était un peu déstabilisé.
- Une seule de ces affirmations peut être vraie.
- Ce que je voulais dire ici, c'était pour les six premiers mois du traitement, pas après les six mois."
Pratique illégale
C'est le Conseil médical et dentaire de Gambie qui a la responsabilité de déterminer le niveau de connaissances et de compétences que doivent atteindre les personnes souhaitant devenir membres de la profession médicale ou dentaire, et de reviser ces critères. "Cela aurait dû être porté à l'attention des autorités réglementaires et du Conseil médical, pour manquement à la déontologie médicale de la part des médecins qui y ont participé", déclare Dr Sallah. Le problème à l'époque était que Dr Mbowe était à l’époque ministre de la Santé et que Jammeh était président... (Mbowe a été ministre de la Santé de 2004 à novembre 2007 et directeur du traitement présidentiel du VIH/sida de janvier 2007 à 2016.)
"Jammeh n'avait pas de formation certifiée dans la pratique de la médecine, peut-être même pas dans les thérapies traditionnelles. Pratiquer en mettant en danger la vie et la santé d’autrui est, selon moi, à tous égards illégal. Si vous regardez les dispositions de la loi, elle condamne ce genre de comportement", dit Dr Sallah. Pour lui, les médecins qui ont participé à cette entreprise portent aussi une part de responsabilité pour des actes répréhensibles. "C'était une intervention thérapeutique clairement dangereuse. Quiconque y a prêté assistance a également mené une activité illégale. Professionnellement, cela constitue un comportement répréhensible qui n'est pas compatible avec ce que la profession attend de tout praticien", conclut-il.
- "Êtes-vous lié à l'éthique de la profession médicale ? demande Faal.
- On m'a remis un diplôme médical pour rétablir la santé des malades, répond Dr Mbowe. Ce n'est pas le Conseil médical et dentaire qui m'a donné un diplôme pour pratiquer la médecine, mais mon université.
- Êtes-vous sérieux ?
- Je suis sérieux à 100%.
- Suggérez-vous qu'indépendamment de vos qualifications universitaires, vous n'êtes pas lié par le code de déontologie de la profession médicale ?
- Eh bien, je n'y suis pas inscrit.
- La question n'est pas de savoir si vous êtes inscrit. Êtes-vous lié par le code de conduite de la profession médicale en Gambie ?
- Oui."